Page:Dessaulles, Barnabo - Dernières correspondances, 1871.djvu/41

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 39 —

Et quand nous voyons un livre aussi irréprochable que le Voyage en Orient, de Lamartine, mis à l’index allons-nous le porter à l’Ordinaire pour qu’il le brûle ; ce que les règles de l’index exigent ?

Quel ne serait pas le rire universel, en France ou ailleurs, si quelqu’un y venait proposer gravement de purger toutes les bibliothèques, publiques surtout, des livres que je viens de citer ? Où en serait l’intelligence publique s’il fallait retomber sur de Maistre et les falsificateurs de cette trempe pour connaître la vérité historique ? Où en serions-nous s’il fallait apprendre l’histoire dans le père d’Orléans, ou dans les Maimbourg, les Bouhours, les Gabourd, les Henrion et les Loriquet ?

Nous avons représenté toutes ces choses avec le calme voulu, mais nous avons vu que nous étions condamnés avant d’avoir parlé. L’Évêché voulant absolument détruire l’Institut — un de ses membres me l’a écrit à moi-même — nous avons eu beau dire des choses sensées, présenter les plus graves considérations ; remontrer par exemple que si les catholiques en sortaient, l’Institut ne serait pas détruit pour cela, et que notre bibliothèque, fruit de 25 années de sacrifices, et toute notre propriété immobilière, valant près de $30,000, allaient passer à une petite minorité de membres protestants qui formeraient encore l’Institut après que nous en serions sortis, tout a été inutile, car, s’étant flattés de l’espoir de nous écraser, l’on était déterminé à ne rien entendre.

Espérant que le préjugé aveugle n’aurait probablement pas pu prendre racine à Rome au même degré qu’ici, nous y sommes allés, et nous n’y avons trouvé qu’un vrai déni de justice habilement déguisé dans un prétendu jugement qui n’a rien réglé, et où nous ne pouvons voir qu’une iniquité de fond et de forme puisqu’on ne l’a rendu que sur des entretiens confidentiels avec l’Évêque et sur ses dénonciations secrètes, le tout voilé sous une procédure secrète !

Et toute cette déplorable farce de prétendu examen d’une question que l’on élimine adroitement du prétendu jugement rendu, se termine par une gronderie à mon adresse parce que nous ne nous soumettons pas à une décision que nous attendons toujours !  !  !

Et c’est un Cardinal de la réputation de V. Ém. qui agit avec cette maturité d’étude d’une question !  !

Eh ! bien, décidément, en voilà assez !

Nous connaissons maintenant la justice romaine !

Nous connaissons ses tactiques, sa procédure, ses habitudes souterraines, ses moyens secrets, et nous voyons ce dont elle est capable en fait de partialité et d’arbitraire ! La leçon que nous avons reçue nous profitera, et à d’autres aussi ! Quand nous aurons besoin de justice, dorénavant, nous saurons par nous-mêmes où il ne faut pas aller !

Il ne nous reste donc qu’à attendre de meilleurs jours ; et à espérer que les graves événements, que les terribles effondrements des six derniers mois, feront enfin comprendre à la curie romaine que là où elle s’obstine avec tant de parti pris à ne voir que la malice des hommes, il est peut-être bien plus juste et plus vrai de ne voir que la justice de Dieu !

J’ai l’honneur d’être,
de Votre Éminence,
le très humble et
très obéissant serviteur,
L. A. Dessaulles.