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que, la stagnation industrielle, et la décadence nationale. Si ces choses ne sont pas comprises à Rome, ce n’est pas tant pis pour nous, mais tant pis pour ceux qui, n’ayant reçu que l’éducation du cloître, comprennent si peu le siècle où ils vivent ainsi que le continent où nous vivons.

Nous ne faisons réellement que défendre le domaine de l’étude sérieuse et libre contre ceux qui veulent mouler l’histoire sur les besoins d’un système. Il y a chez nous un certain degré de vie intellectuelle où Mgr. de Montréal commet l’erreur de ne voir que la liberté du mal ; mais nous pouvons sans crainte, sous le rapport du caractère et de la valeur personnelle, opposer les hommes qui se sont formés chez nous à ceux qui sont formés dans les institutions préconisées par Sa Grandeur ! Car enfin elle pourrait bien n’être pas exactement dans le vrai quand elle pense que la jeunesse se formera beaucoup mieux dans les nombreuses salles de billard ouvertes par le clergé que dans une bibliothèque où l’on peut au moins s’orner l’esprit, et dans une association où l’on s’habitue à penser et à discuter.

Nous défendons le goût de l’étude et du travail contre ceux qui prétendent bien qu’ils veulent le favoriser comme nous, mais qui n’en voient pas moins se fondre dans leurs mains toutes les associations littéraires qu’ils ont organisées ; et cela parce que la jeunesse ne peut pas supporter toujours l’étroit contrôle moral qu’on lui inflige. On ne veut pas comprendre qu’il faut une certaine somme de liberté morale et de libre arbitre personnel aux hommes qui ont laissé le collège et se trouvent lancés sur la large voie de la vie sociale. Croit-on donc qu’ils vont toujours rester enfants parce qu’on les a formés quand ils étaient enfants ?

On prétexte de la pureté des mœurs de la jeunesse, mais malheureusement les petits scandales qui ont de temps à autre percé le secret de l’intimité et sont devenus de notoriété publique, ont eu pour auteurs précisément ceux que l’on prétend former avec tant de sollicitude. Quand notre société a été heurtée dans ses instincts moraux par quelque grave offense contre la décence publique, c’étaient les plus brillants soldats de la coterie pharisaïque qui nous assourdit chaque matin du récit de ses vertus qui en étaient les héros ! Et cela en grande troupe, en bande complète, et non pas chacun en son particulier ! Nous voyons trop comment parlent et agissent dans l’intimité un grand nombre de ceux qui en public ont toujours à la bouche les mots de « religion, » de « principes catholiques » et « d’obéissance filiale au Pape, » pour être bien éblouis de leurs protestations à tour de bras !

Il n’y a pas que les grands hommes qu’il ne fasse pas bon de voir en robe de chambre. Si les grands y sont souvent un peu ridicule, les petits y sont quelquefois bien méprisables. Et après avoir observé les nôtres (les petits) de très près, nous ne sommes plus du tout surpris de les voir si généreusement se coiffer les uns les autres du bonnet de duplicité et d’hypocrisie qui leur fait réciproquement à ravir. Je ferai grâce à V. Ém. des faits édifiants que je pourrais lui citer sur tout cela, dont j’ai toutes les preuves en mains, et qui lui démontreraient bien clairement, quelle est la véritable valeur morale de ceux qui nous insultent à propos de tout comme à propos de rien.[1]

  1. Depuis que cette lettre est partie, la querelle religieuse a pris de bien autres proportions. Ce ne sont plus seulement les journaux du clergé qui se querellent entre eux, mais voilà une partie de la presse religieuse en antagonisme direct avec quelques-uns des Évêques.

    Nous sommes des insoumis, des rebelles, des ennemis de la religion, parceque nous résistons à une exigence absurde, irréalisable en pratique et qu’aucun Évêque n’élève ou ne maintient dans aucun des grands centres de la civilisation ; et après avoir pieusement gémi sur nos désobéissances, voilà la presse religieuse qui résiste aux Évêques sur une question dans laquelle ceux-ci jugent que la religion est intéressée. Nous sommes des orgueilleux quand nous réclamons notre indépendance dans le champ scientifique et littéraire, mais les journaux à bons principes restent des modèles d’humilité quand ils envoient l’Archevêque de