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dessus des rois, des parlements, des gouvernements, des papes et des peuples, et les oblige également tous.

On a donc condamné mon discours pour des raisons qu’on ne dit pas. Ici encore, arbitraire, car dans tout système judiciaire bien organisé, les juges donnent les motifs de leurs sentences, et il est bien clair que les plus simples notions de la charité y obligent des Évêques. Mais il parait avoir été plus commode de ne pas le faire avec moi.

Au reste des prêtres instruits d’ici qui ont lu ce discours m’ont assuré n’y avoir rien trouvé de pervers, ou que l’on dût absolument réprouver. Une fois la condamnation arrivée, d’autres prêtres m’ont indiqué : celui-ci telle erreur, celui-là telle autre, le second ne trouvant par répréhensible ce que le premier avait blâmé, et personne ne tombant d’accord sur ce qui était pernicieux ou réprouvable. Je puis donc penser sans crime que ce que j’ai dit n’était pas absolument horrible ni mes prétendues erreurs complètement damnables. Mais si l’on eût dit de suite en quoi je m’étais trompé, on aurait évité au clergé local le petit désagrément de voir quelques-uns de ses membres trouver irréprochable ce que d’autres trouvent répréhensible, et montrer par là que l’on ne sait pas trop au fond à quoi s’en tenir ; ce qui a naturellement fait un peu rire le condamné. Quand les prêtres eux-mêmes s’entendent si peu sur la perversité d’un livre, il semble naturellement aux gens sensés que Mgr. de Montréal poussait peut-être un peu loin les choses en rappelant avec tant de sollicitude à ses ouailles que celui qui garderait l’Annuaire chez lui serait passible de refus des sacrements même à l’article de la mort.

Cela a paru quelque peu étrange de la part d’un homme qui a entouré de tant de splendeur religieuse, sur l’échafaud, il y a quelques années, les derniers instants de l’un des plus terribles criminels dont nos annales judiciaires fassent mention. Et naturellement bien des gens se sont demandé : « Mais serait-ce donc un plus grand crime d’avoir l’Annuaire chez soi que d’avoir assassiné plusieurs hommes ? »

Mais toutes ces raisons et tous ces faits, surtout celui de la divergence d’opinion chez des prêtres instruits d’ici et des États-Unis sur la perversité du livre, montrent peut être quel grave danger et même quelle souveraine injustice il y a dans une demande de condamnation faite en secret et accordée aussi en secret, c’est-à-dire hors la connaissance de l’intéressé. Pas la plus petite intimation que l’on se proposât de me juger. J’ai appris ma condamnation avant d’avoir pu soupçonner que je fusse accusé, et j’ignore encore à l’heure qu’il est les raisons de cette condamnation. On fait encore aujourd’hui, à Rome, contre l’auteur d’un livre, ce qui ne se fait plus nulle part au monde contre les voleurs et les assassins : condamner sans entendre et sans donner les motifs de la condamnation.

Eh bien, je le dis sans crainte, et en toute certitude que je suis dans le vrai ; une pareille condamnation n’est en droit et en raison qu’une flagrante iniquité. Au fond cela ne peut pas s’appeler une sentence, c’est tout simplement une diffamation. Personne au monde, pas plus le Pape qu’un autre, ne peut condamner sans entendre ni sans dire pourquoi il condamne. Toute condamnation de ce genre est en soi une nullité absolue en droit et en raison, et personne n’est obligé d’en tenir le moindre compte.[1]

  1. Je sais bien que l’on prétend, à Rome, que l’auteur n’est nullement atteint par la condamnation de son livre ; mais c’est encore là une de ces raisons dont la pratique démontre le peu de sincérité. On ne l’a imaginée que pour justifier, aux yeux des gens irréfléchis, l’arbitraire d’une condamnation demandée et accordée en secret. Et comme on défend partout aux catholiques de scruter les actes du pouvoir ecclésiastique, on leur fait ainsi accepter sans examen les explications les plus inadmissibles en raison et en équité.
    Si l’auteur d’un livre n’est nullement atteint par la condamnation, pourquoi donc tous ces efforts pour obtenir sa rétractation s’il est laïc ? Pourquoi est-elle imposée aux prêtres sous peine d’interdit par les autorités locales ? Pourquoi donc traite-t-on de rebelle et d’orgueilleux celui ne se soumet pas, même quand on ne lui indique pas en quoi il a pu se trom-