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dont nous savons quelque chose, nous, membres de l’Institut — si enfin il n’a pas eu assez d’esprit d’analyse pour faire les rapprochements ou les distinctions voulus, est-ce le livre qui lui rappellera l’erreur commise ou l’oubli évident ? Est-ce le livre qui lui dira qu’à cinq, dix, vingt pages du passage qui parait suspect, il trouvera un autre passage qui établira le vrai sens justifiera l’intention ? Est-ce le livre qui va découvrir un secret sentiment d’hostilité chez l’examinateur, ou qui s’appercevra qu’il agit d’après une idée préconçue, ou un préjugé d’éducation, ou d’intérêt d’hiérarchie ? Le livre ne saurait évidemment faire tout cela. Il ne peut donc pas se défendre lui-même, puisque défense signifie discussion. Cette idée est donc une de ces absurdités pratiques qui sautent aux yeux les moins clairvoyants ? Cela est faux en raison, en fait et en équité.

L’absence de l’auteur laisse tout simplement le champ libre au préjugé, ou à l’animosité, ou à l’esprit de parti, ou à l’ignorance possible du sujet traité. Qui empêchera l’examinateur de tomber dans l’une ou l’autre de ces fautes quand l’auteur est à plusieurs centaines de lieues d’un homme qui peut être naturellement assez disposé à mettre ses préjugés d’éducation ou de caste à la place de la charité chrétienne ? Sa conscience ! dira-t-on ? Mais combien n’est-ce pas chose commune, dans le monde, que la fausse conscience ?

N’est-ce pas elle qui a suscité toutes les persécutions et tous les bûchers d’autrefois ? D’ailleurs qu’est-ce que la vraie conscience sinon le sentiment de la justice envers autrui ? Or quelle justice y a-t-il dans une condamnation contre un auteur qui n’a pas pu présenter ses raisons ? Il faut bien dire qu’il n’y a là ni vraie justice ni vraie conscience.

Mgr. de Montréal est un homme de conscience apparemment et il serait injuste de le contester, et pourtant quelle aveugle passion, quelle étroitesse de vues, quelle obstination dans ses torts n’a t-il pas montrées à notre égard et au mien particulier ? Je ne conteste pas sa sincérité, mais il n’en voit pas moins un devoir dans ce qui est injustice ou sévérité inintelligente. Comment expliquer ses faux exposés de faits contre l’Institut, ses violences de langage contre des hommes de réputation, de caractère, d’intégrité, sinon par la fausse conscience ?

Eh bien, est-ce qu’il est impossible que les mêmes petites misères, les mêmes petites faiblesses humaines se retrouvent chez les membres de l’Inquisition ? Est-ce qu’eux aussi n’ont pas leurs sentiments d’hostilités contre certains systèmes, et leurs préjugés d’éducation ou d’intérêt en faveur d’autres systèmes ? Est-ce que les luttes passionnées qui surgissent quelquefois entre les dignitaires de la curie romaine relativement aux postes d’honneur ou de profit qu’ils convoitent, ne montrent pas qu’ils ne sont nullement exempts, malgré leur caractère, des faiblesses ou des convoitises des autres hommes ? Il ne faut pas avoir demeuré à Rome bien longtemps pour observer ces choses, et j’ai eu dernièrement encore là-dessus des renseignements bien remarquables.

Il faut donc toujours en venir aux notions primordiales de la justice. Toute condamnation portée en l’absence de la partie qui ignore qu’on va la juger est une injustice en bonne morale et une iniquité en bonne procédure.

Mais il faut dire aussi que ce système de condamner les livres dans le secret du cabinet et sans citer ce qu’ils contiennent de condamnable est excessivement commode pour déconsidérer autant qu’on le peut et sans dire pourquoi ceux que l’on n’aime pas, et cela en éludant toutes les responsabilités.

Si l’on nous oppose l’habitude, le système adopté, je réponds que ce qui est contre la justice est nécessairement un mauvais système et une fort déplorable habitude, surtout chez ceux qui sont chargés par état d’être l’exemple des autres. Ce qui est injuste en soi sous tous les systèmes judiciaires ne peut être juste et licite pour cette seule raison qu’on le fait à Rome. La justice est au-