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au moins, qu’après avoir parlé ainsi, l’on ne donne pas exclusivement le tort à l’administré sans dire gare et sans avoir la moindre idée de ce qu’il aurait pu prouver.

Le droit canonique n’établit certainement nulle part que l’on doive refuser justice à qui elle est due plutôt que de donner publiquement le tort à un Évêque qui s’est trompé. V. Ém. doit sentir, sans que je le développe ici, quel effet cette espèce de justice doit produire sur des hommes arrivés à l’âge mûr, qui ont quelque peu d’étude et d’expérience des affaires, et qui n’ont pas été de longue main façonnés à l’obéissance monacale.

Cette manière de proposer la solution d’un litige aussi important : « Nous ne donnerons pas publiquement le tort à Mgr. de Montréal, et c’est à vous, plaignant, à trouver quelque moyen terme qui le sauve devant l’opinion ; » cette adroite manière, dis-je de refuser justice à ceux qui se plaignent, a semblé aussi extraordinaire qu’elle était nouvelle à des gens qui vivent dans un pays où les tribunaux sont organisés sur un principe d’impartialité complète, et où les privilèges hiérarchiques ne sont rien devant le droit du plus humble. Il ne nous était pas venu à l’idée qu’il pût s’agir de moyen terme là où il fallait tout simplement s’enquérir si quelqu’un se trompait et le déclarer de bonne foi après audition des parties. Et non-seulement on ne s’est pas enquis, puisqu’on a accepté les yeux fermés tout ce qu’il a plu à l’Évèque de dire d’inexact à notre détriment sans jamais nous donner l’occasion de repousser ses injustes accusations ; mais quand nous avons eu soumis le moyen terme demandé — qui a paru satisfaire celui qui nous le demandait, et qui ne faisait absolument que reconnaître pour nous ce qui est de pratique universelle : ne pas inquiéter le membre d’une association d’étude qui possède des livres à l’index, — quand nous avons eu soumis, dis-je, le moyen terme demandé, une influence secrète est survenue, qui a étouffé le tout sous prétexte de chose jugée, quand le prétendu jugement ne disait pas un mot de cette question.

Votre Ém. ne doit pas être étonnée si, à la suite de faits aussi étranges nous ne pouvons nous empêcher de comparer la justice laïque que nous trouverions ici à la justice ecclésiastique que l’on nous a fait subir à Rome et ici. On nous a beaucoup dit qu’à Rome nous avions pour garantie la conscience des juges, et voilà que pratiquement nous n’y avons trouvé que l’arbitraire sous sa pire forme : le déni de justice adroitement voilé dans un prétendu jugement assez habilement rédigé pour ne pas dire un mot de la question à juger !

Si l’homme le plus humble, sous notre système judiciaire, était condamné par un tribunal quelconque sans avoir été mis en demeure de se défendre, et sans avoir eu l’occasion pleine et entière de plaider sa cause et d’offrir ses preuves, il n’y aurait qu’un cri, d’un bout du pays à l’autre, contre la prévarication du tribunal. Qu’a-t-on fait autre chose à notre égard ? Les appelants n’ont jamais été admis à faire leur preuve, et l’Institut comme corps, accusé sur une question entièrement différente de celle de l’appel porté à Rome par quelques membres de l’Institut en leur capacité privée, n’a jamais eu la moindre intimation que l’on eût changé la question de terrain et de personnes, et a appris sa condamnation sur une chose qu’il n’a jamais faite avant de savoir qu’il eût été accusé !

Sous notre système judiciaire, une sentence exparte, sans citation régulière de l’accusé dans toutes les formes et avec tous les délais voulus pour qu’il ne puisse jamais prétexter de surprise, est non-seulement une iniquité, mais elle est de fait une impossibilité. Je sais bien qu’en droit canonique aussi c’est une iniquité, mais je comprends parfaitement qu’avec les habitudes de procédure des tribunaux ecclésiastiques, loin d’être une impossibilité, la condamnation d’un accusé sans être entendu soit d’occurrence journalière. Or la qualité du juge ne rend certainement pas licite ce qui est inique.