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Il se dit ici, par des catholiques dévoués à la Cour de Rome, et la chose a été répétée par des prêtres, que V. Ém. répondant un jour à un voyageur canadien qui lui faisait l’observation que Mgr de Montréal était un bien saint homme, lui aurait dit : « Je vous avouerai franchement, cher M. X… que j’aime bien mieux les saints morts que vivants ; car, vivants, ce sont ordinairement les gens les plus impraticables que je connaisse. »

Je puis affirmer à V. Ém. que jamais mot plus spirituel n’a été plus judicieusement appliqué.

Mgr de Montréal est incontestablement un homme d’une haute piété, qui mène une vie particulièrement austère, qui s’impose un travail absolument excessif, et qui se refuse rigoureusement ces petites jouissances de récréation ou de repos qui sont non-seulement permises, mais que l’on regarde comme nécessaires à la santé ; mais c’est en même temps un homme qui, sur quelque sujet que ce soit, n’écoute aucunes représentations, reste sourd à toute remontrance, et ne sait pas céder aux meilleures raisons. Quand il a décidé une chose, même sur étude ou examen insuffisant d’une question, ce qui lui arrive trop souvent, rien, absolument rien, ne peut l’en faire revenir. Il s’obstine contre les faits les plus patents, et cette malheureuse disposition chez lui n’a fait que s’aggraver avec l’âge. Il n’y a qu’une voix, même dans son clergé, sur le fait de son opiniâtreté invincible et sur son intraitabilité. C’est vraiment le plus impraticable des saints vivants.

Eh bien, puisque V. Ém. s’en est aperçu, il semble qu’elle aurait pu regarder comme absolument possible la commission de quelqu’erreur de jugement par un homme que l’on a jugé comme on vient de le voir, et qui a suscité ici de si nombreuses plaintes sur l’impossibilité absolue que ceux qui l’approchent de plus près trouvent à lui faire entendre raison sur quoique ce soit.

Ne s’obstine-t-il pas aujourd’hui même, malgré l’opposition de toute la population catholique de Montréal, l’opposition décidée de tout le clergé du Diocèse, le regret formellement exprimé de quelques uns de ses collègues, à construire sa cathédrale en plein centre de la population protestante et à l’extrémité de la ville opposée à celle où est le noyau de la population catholique ?

Tout a été tenté pour empêcher la consommation de cette faute, mais quoique seul de son avis, il persiste à heurter l’opinion de ses collègues, de son clergé, de ses amis et de son troupeau, et à commettre un acte qui lui sera toujours reproché.

Tout cela nous fait naturellement nous demander : « Comment se fait-il que l’on accepte ainsi sans examen, sans discussion, sans jamais songer à en référer aux intéressés, tout ce qu’il plaît à un homme prévenu, et opiniâtre dans ses préventions, d’affirmer sur le compte d’autrui, quand on admet si volontiers, dans l’intimité, son incompétence et ses erreurs de jugement. »

Voici un autre fait, plus direct encore à la question, qui démontre ce que je viens de dire.

Un prélat romain lisait à l’un de nous, appelants, à Rome, en Décembre 1869 :

« Vous comprenez que nous ne pouvons condamner publiquement Mgr de Montréal. Trouvez donc quelque moyen terme qui permette d’en venir à un arrangement »

Voilà un mot qui prouve assez clairement que si l’on ne voulait pas condamner publiquement Mgr de Montréal, on était certes loin de lui donner raison privément. Ce qui semble démontrer cela encore davantage, c’est l’absence complète de décision sur la vraie question soumise par nous à Rome. Pour le sauver devant l’opinion, il a fallu ruser avec les faits et substituer adroitement, dans le décret du 7 juillet 69, une question nouvelle à l’ancienne.

Eh bien, que l’on ne veuille pas admettre publiquement le tort d’un supérieur ecclésiastique, cela peut à la rigueur se concevoir, quoique cela puisse fort bien ne pas être toujours de la justice consciencieuse ; mais