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— IV —

Depuis une semaine, un plafond de froid intense flottait au-dessus de la vallée. Il était venu du nord-ouest, poussé par un blizzard. Alors qu’il était presque passé, le nord-est l’avait ramené lentement. Et il demeurait là, mobile, voguant au-dessus des têtes, se déplaçant à peine chaque jour comme une banquise en eau calme. Et sous lui les arbres craquaient, la surface de la glace sur le fleuve détonait au fond de sa bourre de neige, les cheminées émettaient des jets de fumée que le vent ployait tous légèrement, de façon égale, dans la même direction.

Ysabau s’habilla comme une Sauvagesse : des mocassins, des mitasses, des mitaines de cuir, une pelisse de peau de caribou, l’alourdissaient et la déformaient. Elle saisit une hachette, donna le bras à Pierre et dit :

— On est paré ?

Le vent léger brûla la peau comme du feu. Mais le corps aime parfois à s’exposer au gel ; dans la cabane, il devint à la longue sursaturé de chaleur, languide, moite et énervé. Alors, il aspire à se plonger dans un bain de froidure pour se raffermir et se tonifier. Durant les premières minutes, Ysabau frissonna ; ses nerfs se contractèrent. La bise remontait par les manches, descendait par le col. Mais bientôt la température du sang s’éleva, l’épiderme s’habituait à cette morsure. Les inhalations possédaient de la saveur, elles coulaient dans la gorge comme une eau glaciale.

Pierre et Ysabau traversèrent leur défrichement qui s’était rempli de neige comme un lac entre des rives de forêt. Souches, amas de bois, de branches, guérets, tout avait disparu sous l’épais capitonnage. À la surface courait en nappes impon-