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les opiniâtres

— Dis-moi pourquoi, criait-elle de sa voix haletante… Je le sais Pierre… Vous pensez à vos sales Iroquois…

Pierre ne répondit pas ; il laissait Ysabau s’habituer à l’idée. Mais le matin même, au fort, après la messe, la conversation entre hommes l’avait alarmé. Nicolet avait soulevé le sujet.

— Les épidémies, avait-il dit, fauchent Algonquins et Montagnais ; un missionnaire vient d’écrire que la nation huronne a perdu en quelques années les deux tiers de ses effectifs ; il en appréhende l’extermination prochaine. Chaque heure, il s’amincit, le rideau d’alliés indiens qui couvre nos établissements.

— Les Iroquois reprendront possession du fleuve, disait Godefroy.

— Nous ne recevrons plus de pelleteries, affirmait Hertel. Nous sommes dès aujourd’hui en état de danger.

Nicolet s’était adressé directement à Pierre.

— Vous vivez isolés dans la forêt ; au milieu de la brume, de la nuit, un canot iroquois est vite passé. Vous vous éveillerez l’un de ces matins avec dix, vingt guerriers autour de la maison.

— Je ne peux pas abandonner mon défriché, répliqua Pierre.

Jacques Hertel connaissait mieux que les autres, Pierre et ses projets. Il devina chez lui une résistance fondamentale. Pierre subissait la fièvre des commencements, de l’époque où les besognes à accomplir surgissent et flottent dans l’esprit ; celui-ci découvre chaque jour un complément nouveau, une rectification ; il invente, modifie, ordonne. Alors Jacques avait proposé des atermoiements :

— Pierre organisera la défense de sa maison : des contrevents épais, des contre-portes, des meurtrières ; une couple de chiens dépisteraient l’ennemi, le cas échéant. Si un danger survenait, j’irais l’avertir. Puis, nous connaissons notre