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Terne et laiteux, le fleuve ne montrait plus le courant ; il semblait s’être arrêté de couler par cet après-midi de dimanche. Parfois, il était parcouru de longues ondulations dans le flanc desquelles s’allumaient des fulgurations d’argent ; et sur lui pesait l’atmosphère alourdie par la brume blanchâtre qui embuait les horizons.

— Viens te baigner, Ysabau.

Pierre, Marguerie l’interprète et sa jeune sœur Marie, Jacques Hertel, dans l’eau jusqu’aux épaules, la hélaient du large. Leurs mouvements irisaient la pellicule de la surface en cercles concentriques autour d’eux, et chaque brisure, sous le soleil mi-voilé, lançait des éclairs voltigeants ainsi qu’un morceau de miroir mobile.

— Je ne sais pas nager, répondit Ysabau.

— Tu apprendras ; serais-tu moins douée que les squaws ?

Ils rirent. Avec aisance, la frêle Marie se laissait flotter sur le dos, et elle criait parfois, ce qui détruisait son équilibre.

Sans autre idée que celle de se rafraîchir un peu, Ysabau entra dans l’eau, descendit à petits pas, barbotant avec des gestes maladroits. Pierre l’entraîna plus loin, à lui faire perdre pied. Mais l’apprentissage enregistra vite des progrès ; au bout d’une demi-heure, la jeune femme parcourait de courtes distances.

Enveloppés de soleil chaud, ils remontèrent sur le rivage. Jacques posa une cible. Habile tireur, il provoquait les autres. Et à la fin, il dit à Ysabau :

— Votre tour, madame.

— Vous n’y pensez pas, Jacques, je n’ai jamais tiré.

— En Amérique, il faut apprendre.