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— III —

Accore et grise, la falaise pendait du haut comme une toile de fond sans ornement. Une mince plateforme de terre en longeait le pied, supportant une église, des édifices, puis des canons que l’embrun des vagues arrosait parfois. Des biscayennes allaient et venaient entre les appontements au ras de l’eau verte, profonde, et les navires de France mouillés au large.

Un groupe s’était assemblé sur le quai. Il se composait de la vénérable dame Le Marchand, de monsieur le Neuf de la Potherie, de son frère monsieur Le Neuf du Hérisson, de leurs femmes, d’un Jésuite, de la petite Anne, adolescente noiraude, robuste et espiègle, de toute une gaie société enfin descendue des maisons neuves de la Haute-Ville.

— Alors, nous partons ? demanda Pierre.

Avec des précautions, au milieu de l’encouragement et des rires de l’assistance, Ysabau Seiglon mit le pied dans le canot d’écorce. Elle s’allongea sur la peau d’ours, et s’adossa à des ballots accumulés à l’avant. Pierre sauta à bord avec légèreté ; il saisit la pagaie. Une vive poussée, et le départ des nouveaux mariés eut lieu parmi les cris d’adieu.

Comme une nerveuse bête de race, le canot tressaillit lorsqu’il frappa le fort courant de la marée montante. Pierre le redressa et le laissa courir au milieu du fleuve. Et alors Ysabau vit s’ouvrir de nouveau la grande avenue bleuâtre qui s’engageait ici au fond d’une large faille creusée dans un plateau élevé. De chaque côté, des falaises grises, jumelles, posaient leurs plans verticaux. Quelques clairières à peine visibles d’en