Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.
57
les opiniâtres

avec l’intelligence fruste du végétal aveugle, les tentacules palpaient le sol, s’orientaient, modifiaient leur direction avant de se précipiter maladroitement dans l’humus nourricier. Et Pierre restait ébahi devant l’avidité de ce nid de serpents à la poursuite des sucs de vie. Mais la douloureuse volonté d’exister remportait son immédiate récompense dans une tige plus vigoureuse que celle des autres sapins, dans un feuillage plus vert, dans une beauté symétrique qui se distinguait de loin.

La vision dantesque ne s’effaça pas de l’esprit de Pierre. Même sans élan et sans ardeur, il persévéra avec sa discipline et avec son équilibre innés. Dans son entreprise, il discernait le principal et il savait où faire porter son effort. Le reste, il le négligeait.

Longtemps, il devrait se limiter au bûchage, à la mise en culture, transformer ainsi son énergie en un coin dur et aigu. Tout subordonner à ce labeur ; ne perdre une minute ni à se construire de grands bâtiments, ni à chasser, ni à pêcher. Frapper inlassablement de la hache dans la joie et dans l’amertume, dans le découragement et dans l’enthousiasme, imposer enfin à ses dispositions diverses le harnais du travail.