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d’un seul brin, de massives colonnes élancées, régulières, qui soutenaient l’épanouissement d’une ample voûte. Plongeant leurs racines dans des argiles alluviales, ils conservaient leur verdeur et sans cesse croissaient. Et surtout, de chaque côté du fleuve montait en rampes imperceptibles, la vallée de quarante à cinquante milles de largeur le long des montagnes qui, au nord, bombaient l’horizon de leurs gonflements bleuâtres.

Sans le savoir, les interprètes alimentaient l’admiration de Pierre : ils décrivaient les belles régions qu’ils avaient traversées.

— Je donnerais le premier rang aux terres de l’île de Montréal, disait Hertel.

— Certes, répondait Marguerie, je ne saurais en faire fi ; mais la plaine qui s’étend au sud-est de cette île, à droite du fleuve, ne la leur cède en rien. Elle est vaste comme une province.

Dans ce concert, Nicolet possédait l’avantage. Il avait pénétré jusqu’à l’ouest des Grands Lacs. Il parlait de forêts de pins, d’érables ; et aussi de prairies, de vallées, d’eaux poissonneuses.

— Un jour, nous verrons des villages partout.

Voilà la vision de ceux qui passaient : des essaims de bourgs parmi des campagnes en culture, des millions d’hommes vivant dans l’aisance. Ici, partout, se présentaient du large, des arrière-plans, des infinis de steppes. Pas de bornage nulle part ; une étoffe d’une ampleur telle que chacun pouvait se tailler un domaine seigneurial. Le rêve impérial, il se levait du pays, du fleuve, comme un produit indigène. Mais comment le susciter par des paroles ou des écrits dans l’imagination de ceux qui n’avaient rien vu, mais conduisaient les affaires de la Nouvelle-France ? Depuis trente ans, les coloniaux s’y essayaient, n’y parvenaient pas.

— Mais non, disait Nicolet. Cela ne s’abandonne pas quand on le possède, cela ne se néglige pas.