Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/44

Cette page a été validée par deux contributeurs.
42
les opiniâtres

printemps les accrus jaillissent des souches toujours vivantes.

Lorsque les deux hommes eurent creusé des goulettes autour de cette pièce de terre afin de la drainer un peu, l’époque des semailles était venue.

— Du sarrasin d’abord, avait affirmé Le Fûté ; il sait vivre là où les autres denrées mourraient ; il étouffe qui veut l’étouffer. Puis du blé d’Inde ; avec le maïs, on peut subsister toute l’année comme l’Iroquois.

Et Pierre attendit. Jour après jour, il venait surveiller ses essarts.

— Ça poussera, Le Fûté ?

— Ça devrait pousser.

David Hache n’était jamais catégorique. Manant de naissance, il avait vu si souvent ses espérances détruites, toutes conjectures tourner contre lui, ne pas se produire les choses qui devaient naturellement arriver, que, maintenant, il n’affirmait plus rien sans restriction. Le malheur avait expulsé les affirmations de son vocabulaire.

D’impatience, Pierre fouilla dans le sol maintenant craquelé par la chaleur ; il y découvrit un grain de blé indien en germination.

— Voilà.

Et après une nuit de pluie chaude pointèrent de frêles tigelles, de menues pousses qui formèrent bientôt une mousse verte sur le sol.

— Ça va vivre ? demandait Pierre.

— Ça devrait vivre.

Mais ces brins d’herbe à peine visibles regorgeaient de sève et de vitalité. Bientôt trapus, ils s’allongèrent, se ramifièrent, se déroulèrent. Chaque soir, en revenant du travail, Pierre en observait la croissance. Comme d’un seau tenu très haut, la lumière froide et pure se déversait alors du soleil dans ce puits en forêt que formait le défrichement taillé en rond autour de la cabane. Ormes, érables, hêtres, frênes, bien tassés, étirés, hampes cylindriques sans branche si ce n’est