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les opiniâtres

en France. M. Giffard de Québec en a obtenu bon prix.

Pierre se taisait, bien qu’il eût pu demander : « de la ganivelle, comment pourrais-je en fendre si personne ne m’enseigne ? » Mais appliqué à deviner la pensée secrète de son compagnon, il demeurait coi.

— As-tu rapporté une grosse provision de ta pêche aux anguilles à Québec ?

— Cinq tinettes.

Pierre se souvenait de la scène : tous les Indiens vivant sur cent milles de côtes rassemblés au bas des falaises ; les longs murs de pierres sèches construits à marée basse, avec les boîtes au bout, où s’engouffraient les anguilles nombreuses à marée haute, quand elles longeaient le rivage ; l’abondance inouïe de ce poisson ; le soir, la pêche au flambeau sur l’eau noire avec des dards ou des tridents ; le séchage et le boucanage dans les anfractuosités de la côte.

— Icitte, les Sauvages tendent l’hiver des filets sous la glace ; ils attrapent une espèce de petite morue. Puis la chasse ; le matin, tu trouves un chevreuil écarté près de ta cabane. Si la neige est épaisse, l’orignal s’embourbe aussi ; tu le captures à la main. Bien gelée, cette viande se conserve tout l’hiver ; tu en coupes un morceau au besoin.

Le Fûté se tut. Il avait aligné à la suite l’un de l’autre des faits en apparence décousus ; il les laissait maintenant choir au fond de l’esprit de Pierre, s’amalgamer, former leur sens. Il s’applaudissait de l’agencement de ses paroles. Si Pierre ne voulait pas accepter l’offre, il pourrait feindre l’incompréhension ; dans le cas contraire, il n’aurait qu’à dire oui.

Pierre avait compris dès le premier mot. Le Fûté venait d’offrir sa collaboration pour l’hiver ; il avait indiqué le moyen de lui verser un salaire et de le nourrir gratuitement. Qui profiterait de cette générosité ; profits en argent sur le merrain,