— Mais où nous menez-vous, capitaine Noé ? Retournons-nous en France ?
— Mais non, mais non, nous naviguons sur le fleuve.
— Le fleuve Saint-Laurent, capitaine Noé ? Vous voulez badiner.
Chaque année, les passagers le questionnaient ainsi. Il riait ; il les conduisait devant une carte ancienne. Et sur le parchemin, ils examinaient tout l’estuaire, immense corne d’abondance orientée vers le sud-est.
— Et nous sommes là, indiquait le capitaine de son doigt boudiné.
Les marsouins au ventre blanc apparaissaient à la surface et plongeaient en décrivant un cercle ; les épaulards lançaient leurs jets d’eau ; sur les battures rocheuses, par centaines, les phoques se chauffaient au soleil ; les goélands suivaient le navire ; leurs cris rauques semblaient la clameur même de la mer.
— Traversons-nous le pays de part en part ? demandait Pierre.
Enfin les rives se rapprochèrent ; bientôt, elles formèrent une large avenue sinueuse, où apparaissaient de loin en loin des îles bleues baignantes dans des immensités d’eau lisse. Au nord, les montagnes constituaient la berge même ; au sud se déroulait un plateau, et la sylve s’étendait, sans limites, épaisse et serrée comme une toison.