comme l’églefin, le flétan, le hareng. Les troupeaux d’épaulards se promènent là-dedans…
Pierre comprit alors l’expression dont son grand-père s’était servi : « pays vierge ». Durant ce premier contact avec le nouveau monde, son regard embrassait tout à la fois la mer et la terre : partout, abondance de poissons, d’oiseaux, de bois ; multiplication libre, pullulation de la vie animale et végétale ; croissance prolongée des individus qui atteignaient des âges et des volumes incroyables. À elle seule, cette grève couverte de morues comme de grandes tuiles imbriquées, donnait une sensation de richesse.
— Un bon pays alors, la Nouvelle-France ?
— Un bon pays ? Ça dépend. Pour se nourrir, oui. Mais pour le climat ?
Un Normand de race pure ; tout s’équilibrait exactement sous sa parole : un avantage en face d’un désavantage ; une richesse en face d’une pauvreté ; un pour et un contre.
— Et cette petite demoiselle, ça vient vivre avec les Iroquois ?
Un peu étrange et dur, le mot barbare s’inséra dans la mémoire de Pierre. Mais celui-ci s’amusait trop du contraste entre cette bambine aux jolies vêtements et ce pêcheur barbu, pour demander d’autres renseignements.
— Vous avez passé avec le capitaine Jalobert ?
— Oui.
— Ah ! un vrai marsouin, celui-là.
Au départ, un coup de canon salua les morutiers. Après avoir rebroussé chemin, le Don-de-Dieu contourna la pointe de Gaspé et s’engagea, proue vers l’ouest, dans le fleuve Saint-Laurent. De nouveau, les côtes s’évanouirent ; les passagers avaient l’impression de se retrouver en pleine mer si ce n’est que la marée, à certaines heures, formait courant et les poussait vers l’intérieur. Parfois une bande bleuâtre se dessinait au nord ou au sud. Pierre s’impatientait :