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sades de paix : elles devaient faire face au sud à des ennemis dangereux.

François désirait encourager son père qu’il plaignait ; il le voyait maintenant hors de son milieu, hors de sa besogne, hors de sa joie. Les événements avaient étranglé à mesure chaque espoir que celui-ci avait conçu. Mais soudain, pour une éclaircie, il espérait de nouveau : son vieux rêve vivait toujours au fond de lui-même, comme ces racines vives et profondes qui jettent des accrus de nombreuses années après l’abattage de l’arbre. S’il remontait le fleuve en chaloupe, à la tête de quelques soldats, il observait attentivement le pays ; il examinait les terres nivelées, les sols alluvionnaires ; il entrait dans le bord de la forêt, l’automne, et s’éternisait là, les pieds dans les feuilles, les regards lents. Que de domaines à tailler l’un à côté de l’autre, joignant le rivage ; que de tranches de pâturages, de prés, d’emblavures bien découpées à poser à plat comme des tuiles de nuances différentes, pour recouvrir cette vallée ; que de fermes larges, pleines d’air et de vent, à aménager dans ces étendues !

Mais François craignait en même temps d’allumer des espérances trop vives.

— Avec l’Iroquois, nous serons plutôt le castor qui ronge l’arbre que la hache qui l’abat d’un coup. Nous devrons user de patience et d’habileté.

Ils entrèrent dans la maison : dans la pénombre éclairée par les lueurs sautillantes des bougies, ronflait et pétillait le foyer. Si ce n’est Sébastienne, les visiteuses étaient parties. Ysabau, Yseult, Ysolde, Sébastienne coupaient des pièces d’étoffe. Sébastienne essayait un manteau encore sans manches.

— L’aimez-vous, François ?

Elle levait les bras, tournait et retournait. François regardait ce jeune visage éclatant, plein et pur, dans son premier éclat de beauté ; il devinait cette âme tremblante, apeurée devant sa violence,