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les opiniâtres

— Inutile, répondait François, comme autrefois Jacques Hertel. Les Iroquois voient venir ton gros parti de guerre ; ils abandonnent leurs hameaux. Tu brûles ceux-ci, tu retournes, mais tu n’as infligé aucune perte à l’ennemi.

— Que faire ?

— Double le nombre des soldats. Alors tu laisses une garnison dans les forts et tu entraînes les autres. Tu les habitues au fleuve, à la forêt, au canot, à la raquette, au froid, au combat parmi les arbres ; tu les rends aussi souples que les Sauvages, aussi rapides, aussi rusés. Tu les dresses. Ils chassent en même temps qu’ils se déplacent, ils vivent sur le pays ; ils s’orientent n’importe où. Avec cent cinquante hommes de cette façon, la colonie se défend ; bien mieux, elle attaque, elle porte la guerre chez les ennemis.

— Mais en attendant…

— …

Cependant ces séries de malheurs produisaient sur Pierre l’effet même que l’adversité engendre dans les natures saines et fortes : au lieu de le décourager, elles l’ancraient dans son obstination. Comme ces pinces qui serrent et maintiennent d’autant mieux leur fardeau que celui-ci s’alourdit, sa volonté se figeait, s’affermissait et devenait dure comme acier. Au début, plusieurs auraient quitté la colonie pour un caprice ; maintenant, la mort même ne chassait pas les autres.

La veillée s’alourdissait dans le deuil. Morts, disparus, constituaient le principal topique. Seuls, Pierre et François demeuraient muets, roulant en leur esprit de pénibles pensées ; à un moment donné, ils quittèrent la maison. Entrant dans l’air vif, ils se dirigèrent vers l’appontement. Des bouffées de vent glacial cinglaient le fleuve aux vagues luisances noires

Plusieurs colons étaient déjà rassemblés. Des domestiques plaçaient des colis dans un long canot ; des rameurs s’installaient à leur poste.