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L’épouse de Sarrazin pleurait aussi : Eustache avait chassé une fois de trop dans les îles du lac Saint-Pierre.

François entendait les lamentations. Pierre écoutait aussi au coin du feu, sombre, la tête penchée. La mort de David Hache l’avait touché profondément.

— Ce modeste, pensait-il souvent, il était au-dessus de nous tous. Voilà un homme qui avait été façonné pour ce pays ; il se soumettait aux événements d’un cœur humble, sans s’irriter, sans s’exciter. Jamais las, il peinait d’un élan égal et sûr. Il montrait du dévouement, assistant celui-ci ou celui-là, tandis que j’étais trop absorbé pour penser aux autres. D’humeur égale, habile de ses mains, il accomplissait beaucoup de travail sans le dire.

Funèbre veillée. Sébastienne était peut-être la seule à penser à autre chose que la guerre. Un vent d’automne emportait par grands essaims les feuilles colorées ; il les râtelait dans la rue. Il soulevait l’eau froide du fleuve et la revêtait d’une surface rêche à l’œil et noire.

De tristesse, Pierre aurait voulu crier à ces femmes : — Arrêtez, cessez.

La Nouvelle-France était malade de mal de mort. L’automne était venu, mais les éphémérides sanglantes continuaient de s’inscrire dans le calendrier de l’année terrible. Ville-Marie, Trois-Rivières, Québec pleuraient les morts, les suppliciés, les captifs. Soit découragement, soit impossibilité de vivre sans cultiver, chasser et pêcher, soit fatigue de cette guerre sans répit, la population, semblait-il, ne se gardait plus aussi bien. En cent lieues de pays, les Iroquois avaient raflé plus de cent vingt victimes.

Ville-Marie comptait à elle seule une trentaine de disparus parmi lesquels il fallait noter deux missionnaires. Les Trois-Rivières avaient perdu du même coup un groupe de quatorze hommes ;