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les opiniâtres

Enfin les clameurs diminuèrent d’intensité. Chacun regagnait sa loge ; des enfants criaient en courant. Et le silence se fit.

Koïncha attendit longtemps. Puis elle franchit la seconde rangée de palissades. Elle se dirigea vers la cabane ; du toit ruisselaient des torrents d’eau. Koïncha se tenait immobile près de la porte, et la porte s’ouvrait ligne à ligne. Sous le courant d’air, une bûche jeta soudain sa flamme, se mit à brûler, éclairant la pièce étroite. Se penchant, Koïncha trancha des liens. François ne l’avait même pas entendue. Elle l’aida à se relever ; il se suspendit à son cou. Ils sortirent avec la même lenteur.

François se coucha dans le fond de la pirogue. Koïncha jeta une vieille peau de chevreuil sur ce squelette. Elle s’assit à l’arrière, lourde, immobile, la pagaie en mains, comme si elle eût fait partie du bois du canot. Et celui-ci courut sur la rivière en crue. Koïncha ne distinguait à l’avant qu’une vague couleur laiteuse et luisante qui lui indiquait la route. De chaque côté s’éleva bientôt, ainsi que des falaises de brume très sombre, la forêt enveloppée de pluie. Et sur l’eau bourbeuse, gonflée, l’embarcation glissait sans heurt, comme une luge lancée à toute vitesse sur un flanc de montagne couvert de neige, prenant un tournant à droite, puis un autre à gauche, et ployant sur cette couche élastique et molle.

Brillant et froid, le soleil se leva. Les yeux glissant de côté dans sa vieille face de sorcière, sans remuer la tête, Koïncha vit défiler en vitesse le village de pêcheurs qu’elle avait tant redouté : les Iroquois dormaient. Puis elle mastiqua des grains de maïs ; et elle saisissait dans sa bouche des tampons de pulpe toute moulue, et avec ses doigts, elle les enfonçait entre les lèvres de François.

Puis elle dit : —

— François, nous avons un portage à franchir ; François, il faut que tu marches, m’entends-tu ?