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les opiniâtres

conduire un siège. Je m’avance, j’examine. Soudain, j’avise les canots rangés sur la grève : « voilà mon affaire » que je me dis. Je donne des ordres. À l’abri des balles derrière des ballots de fourrures, les poussant devant eux, mes Sauvages rampent vers les pirogues ; lentement, pouce à pouce, sans un cri, sans un coup de feu. Moi, j’observe les Iroquois. Je sais ce qu’ils pensent : vont-ils laisser détruire leurs esquifs, se laisser couper la retraite, se laisser assiéger ? Ils hésitent. Ils pèsent le pour et le contre. Et soudain, la panique éclate : ils se précipitent dans leurs embarcations, ils fuient. Nous ne les avons pas revus.

J’entre dans le fortin, je m’arrête, saisi. Je comprends. Une bataille terrible vient d’avoir lieu là. Le reste, je l’ai appris à Ville-Marie. Représentez-vous une clairière grande comme la main, à quelques pas de la berge ; dans le milieu, un retranchement comme en construisent les Sauvages. Nos dix-sept soldats viennent s’enfermer là-dedans ; avec les alliés indiens, ils sont d’abord près de soixante. Deux cents Onnontagués les investissent. La fusillade commence. On tire presque à bout portant. Les Iroquois se dissimulent dans la futaie, ils montent aux branches, ils coupent des arbres dont la cime atteint le fort. De jour, de nuit, les assauts se succèdent. Un trou dans le sol ne donne qu’un peu d’eau boueuse ; on souffre terriblement de la soif. Découragés, les alliés passent presque tous à l’ennemi ; il ne reste que vingt-deux personnes dans le retranchement. Soudain arrive le contingent des Agniers : cinq cents guerriers. Le combat est désormais perdu. Mais la garnison refuse de se rendre ; assiégée depuis six jours, sept jours, elle meurt de soif, de fatigue, d’insomnie ; mais elle tient ; et sans espoir. Elle se bat. Le fortin fait feu sur ses quatre faces, continuellement, inlassablement. Tout individu qui s’expose, tombe. Personne ne peut passer. Les assiégés sont si peu