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bombe à l’infini dans toutes les directions. Pas d’arbres : il n’y aurait qu’à mettre la charrue là-dedans. Dans l’herbe par-dessus la croupe, des troupeaux de bisons ; de loin en loin, un village d’indiens ; soudain, un fleuve aussi large que celui qui coule devant le fort. Au nord, au sud, pas de bornes : on pourrait poser la France sur la plaine et il y aurait des retailles tout autour. Et, en Europe, on se bat pour un rocher, un vallon stérile.

Les amis des aventuriers écoutaient, silencieux. Un Français partait ainsi de temps à autre, et il annexait un royaume à la France. Les limites du continent fuyaient devant les explorateurs ; personne, semblait-il, ne les atteindrait jamais.

Puis Pierre Radisson riait soudain. L’esprit présent, toujours fertile en stratagèmes, il était demeuré le gamin audacieux et rusé d’autrefois. Il se rappelait l’une quelconque des nombreuses matoiseries qu’il avait dû employer pour se tirer d’un péril ; son récit secouait son auditoire de rires nerveux.

Pierre de Rencontre réussit à poser une question :

— Vous êtes passés au Long-Sault alors que la bataille venait de se terminer ?

Un silence tomba. La colonie avait été sauvée par l’immolation volontaire de dix-sept jeunes gens de Ville-Marie : ils s’étaient portés au-devant des forces iroquoises et, au prix de la vie, leur avaient infligé de si lourdes pertes qu’elles avaient rebroussé chemin.

— Nous avons appris avant vous que les Iroquois se mettaient en campagne. Nous nous préparions au départ, à la baie Verte ; déjà, les ballots de fourrures étaient arrimés dans les canots. Soudain surgissent de la forêt des coureurs qui apportent une nouvelle : plus de mille Iroquois ont quitté leurs bourgs pour raser les établissements de la Nouvelle-France ; déjà, ils ont