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Couleur soufre, l’entrelacs des fines branches de saule se gonflait des châtons et de la mousse du printemps. Libérées de leur geôle, les poules s’égosillaient au soleil. Lançant une semence de notes saccadées, la cloche de la chapelle sonnait. Et, comme s’il n’avait pas débâclé, le fleuve exhalait une fraîcheur et un parfum de glacière.

Inquiète, Ysabau errait sur la plateforme ponctuée de pierriers noirs. Parfois elle s’arrêtait net, observait avec soin le fleuve qui surgissait de la trouée dans la sylve rousse.

Silencieuse, elle revint à la maison, commença la préparation du repas. Ysolde et Yseult parlaient bas dans l’autre pièce. Pierre arriva à son tour en silence. Ysabau travailla plus vite, mais elle regardait souvent par la fenêtre, puis sortait sur le perron dans l’air déjà froid du soir. Durant les deux dernières années, la fatigue et le souci l’avaient marquée ; sa figure pleine et saine d’autrefois s’était affaissée ; sous les yeux, le long du nez, aux coins de la bouche, les stigmates des inquiétudes avaient commencé de s’inscrire dans la peau bistrée.

Depuis trois jours, Ysabau guettait le retour de François. Celui-là, il s’en donnait du mouvement. On se réveillait, il avait disparu, voilà tout. Comme un Indien, sans rien dire, il était parti en canot ou à pied, par le fleuve ou par la forêt. Pierre et Ysabau se morfondaient d’angoisse pendant qu’il battait le pays.

Les palissades franchies, tout Français entrait en péril de mort. Les Iroquois tenaient la campagne ; ils avaient capturé ou massacré nombre de soldats et de colons des bourgs de Ville-Marie et des Trois-Rivières. Québec comptait aussi des victimes. Par groupes de deux, de trois, de cinq, de huit, l’ennemi grignotait la population. Toujours à