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— Alors, poursuivit François, tu vois nos cinquante Français au cœur du pays ennemi ? L’hiver passé, le Grand Conseil décide d’en massacrer la moitié, de garder les autres pour les échanger contre ses prisonniers à Québec, de fondre ensuite sur nos établissements. Que faire ? Heureusement, Radisson est là. Il monte une comédie. L’un de ses amis tombe malade, il est à l’article de la mort ; rien ne le guérira si ce n’est un festin à tout manger. Alors, il invite les guerriers iroquois. Dans douze chaudrons de fer, on jette les derniers vivres : gibier à poil et à plumes, maïs, légumes, pruneaux, bœuf, poisson, tout enfin. Mes vaillants s’empiffrent : il ne faut pas laisser mourir l’ami de Radisson. Les panses se gonflent et se gonflent ; clairons, violons, tambours font dans le même temps un tintamarre de tous les diables. Quand, enfin, bien tard, on les abandonne au sommeil, le départ peut avoir lieu en toute sécurité. Pour retarder la découverte, Pierre a encore inventé d’autres stratagèmes : des sentinelles de paille montent la garde, un cochon est attaché à la corde de la cloche du portier, des poules piaillent dans leur poulailler.

Les deux hommes sourient : cette histoire, c’est tout Pierre Radisson. Mais d’elle-même, la pensée de la guerre revient dans les esprits

— Alors, nous devrons retourner au fort ?

— Personne ne sait encore. Nous avons sous mains quelques otages : ils nous vaudront la paix pour un temps encore.

— Bien. Et les semailles ?

— …

— Voilà, répondit Pierre.

— Peut-être pourrons-nous venir travailler de temps à autre, vous, Jacques et moi ?

Pierre saisit de nouveau la hache. Bientôt l’arbre craqua, s’abattit en brisant des branches. Pierre l’étêta, l’émonda. Pièce de monnaie couleur flamme, le soleil était bordé d’un grènetis d’une