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les opiniâtres

— Mais non, maman.

— François. Ne détourne pas les yeux, François : ils ne savent pas mentir, tes yeux. Je sais maintenant. François, mon pauvre petit. Elle n’insista pas. Silencieuse, occupée à ajuster ses pensées, elle marchait au hasard dans la boue, levant haut les sabots qui doublaient les souliers de cuir.

— Où est papa, alors ?

— Au bois depuis le matin. Ne parle pas trop brusquement, veux-tu ?

— Bonjour, petite maman.

Fumant sa pipe, François traversa le défriché à pas lents. La terre était encore gelée ; sous une mince pellicule de boue, le pied glissait parfois sur une glace noire et luisante ou sur un tapis visqueux de feuilles pourries. Sous les sapins, parmi les talles épaisses, se dérobaient des congères intactes ; à la surface s’accumulait le semis de toutes les impuretés insolubles tombées durant l’hiver. Roides comme des crins de brosse, les éteules frissonnaient sous le vent frais. Encombrés de détritus, les ruissons s’emplissaient et parfois dégorgeaient leurs eaux printanières. La température était incertaine : chaude aussitôt que le soleil apparaissait, puis froide sous l’ombre des nuages ; l’air était saturé de la buée froide d’évaporation qui s’élevait du sol, il était dur à respirer, cru.

Après avoir franchi les novales, François entra là-bas dans la coupe, trouée profonde au cœur de la matière épaisse et dense de la forêt. Ici et là s’enflaient de larges amas de branches rousses ; ils reposaient sur des couches de neige qu’ils protégeaient contre le soleil et empêchaient de fondre. Partout pointaient les souches dont la large coupure blanche, suintant par places ou exsudant des gouttes de gomme aussi pure que du cristal, s’étalait comme une plaie nouvelle. Semée autour, la sciure de bois ou les copeaux revêtaient