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en billettes pour le cuisinier ; il affénait les brebis et les vaches ; il saignait poules et cochons. Aucun labeur ne lui répugnait pour lier connaissance avec les choses et les animaux. Toute besogne recélait la saveur d’une initiation. Et le capitaine Jalobert pressait Pierre dans cette voie.

— Un corps humain, disait-il, est-ce fabriqué pour se camper immobile sur une chaise ? Est-ce articulé pour demeurer droit ? Les poumons, il leur faut de l’air à grandes lampées. Ne te laisse pas rouiller, mon gars, si tu veux bien dormir, bien manger, chanter par là-dessus.

Quand il se souvenait une seconde de Saint-Malo, Pierre constatait la transformation qui s’était opérée soudainement en lui par suite du changement de milieu. Quelques jours s’étaient à peine écoulés, et il ne reconnaissait pas l’individu maussade et inquiet qu’il avait été la veille. Il jouissait du bonheur des muscles et des membres en action, des sommeils sans faille, de la pureté de l’air, des vents, du froid, de la chaleur et du soleil. Défiance, pessimisme, tristesse, manque de confiance en soi s’étaient évaporés comme la rosée. Des flots d’énergie vitale l’animaient de leur véhémence. Il buvait à pleine coupe la saine rudesse de l’amitié. Plein d’assurance et d’optimisme maintenant, il se redressait de toute sa taille. Il lançait son défi au monde. Son être s’épanouissait dans des conditions de vie favorables ; une fois délié des enlacements d’un milieu hostile, il poursuivait avec vigueur sa croissance interrompue ; une fermeté nouvelle et l’orgueil de sa force se lisaient dans ses yeux.

Par sa seule présence, la petite aidait à cette transformation sans y penser ; son insouciance et son exubérance prêchaient d’exemple. Le soleil et le grand air l’avaient si bien hâlée que Pierre lui disait :

— Au débarquement, les gens de la Nouvelle-France vont s’écrier : « Tiens, une négrillonne des Îles».