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les opiniâtres

Moi, je répétais : « Je viendrai vous voir, je veux coucher dans le hamac ». Grand’mère a pris ma part : « Laissez-la coucher dans le hamac, cette enfant ; on n’est pas tellement bien ici ; le grand air ne lui fera pas de mal ». Et papa a crié : « Petite garçonnière, va coucher dans ton hamac ; mais si ton ami Pierre ne prend pas soin de toi, j’aurai deux mots à lui dire avec ce sabre ».

La même nuit, Anne et Pierre reposèrent dans les rudes hamacs, à la suite des matelots, respirant la crudité de l’air marin.

Le lendemain, Pierre s’immobilisa devant le commandant, tête haute, regards droits :

— Capitaine, la traversée sera longue les bras croisés.

Front et sourcils plissés, comme s’il défendait ses yeux contre le soleil, le capitaine le scrutait :

— Bon. Les tâches ne manquent pas, mon gars.

Il lui assigna des corvées de plus en plus difficiles. Depuis l’enfance, Pierre n’avait-il pas toujours rêvé à ces merveilles : grimper aux échelles de cordage, empoigner la barre et conduire devant soi, comme un percheron ardent, le navire poussé par sa haute voilure ; utiliser les vents ; carguer ou hisser chaque voile, en connaître le nom ; hâler les manœuvres courantes, nouer toutes les espèces de nœuds ; recevoir, entre les gaillards, le heurt de lames vertes ; prodiguer ses forces, utiliser sa souplesse, braver les risques, subir les violences et les bénignités de la mer, chanter à tue-tête par les journées de bise qui penchent le navire sur la bande ?

— Hein, si elle te voyait ta maman, mon luron, juché sur la pointe des vergues !

Pierre riait. Le capitaine Jalobert revoyait les traits du bambin qui, il n’y a pas si longtemps, trottinait dans les rues de Saint-Malo.

— Bonne mère ! pensait-il, c’est un gosse.

Et le gosse plongeait dans cette aventure. Il s’entraînait à manier le merlin, débitant des bûches