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— Voilà les ravages des orignaux, avait crié François.

Dans la neige, au milieu des sapins, Pierre avait aperçu l’espace profond comme une tranchée où s’assemblaient les animaux et qu’ils foulaient continuellement de leurs sabots. Autour, les pistes rayonnaient dans toutes les directions. Chaussés de raquettes tous deux, les hommes s’étaient élancés à la poursuite de l’une des bêtes. Au passage, ils coupaient l’ombre linéaire, bleue, des troncs, et celle des menues branches, fine et nette comme une résille de soie.

Aussitôt qu’il eut deviné leur approche, l’orignal cessa de brouter les jeunes pousses d’une viorne faux-lantana. Pesant, aussi gros qu’un cheval, les pattes longues, il voulut galoper, mais s’enfonça jusqu’au poitrail ; le corps brunâtre et gras s’agita dans une natation désespérée. Au bout d’une vingtaine d’arpents, épuisé, il s’arrêta. Rien n’aurait été plus facile que de le capturer. François tira et la bête, parcourue de tremblements, demeura sur place, embourbée, la tête enfouie dans cette ouate froide.

— Nous passerons la nuit ici, dit encore François.

Pierre enleva la neige sur un large emplacement. Il alluma un feu, il amoncela des ramilles de sapin, étendit une couverture de peaux de chevreuil. Il attendit tout en nourrissant les flammes. Le soleil avait disparu. Une ombre glaciale baignait la futaie. Les arbres semblaient pétrifiés ; ils avaient perdu leur flexibilité de l’été ; ainsi que des vieillards goutteux, ils balançaient sans souplesse leurs branches aux articulations noueuses qui grinçaient comme de la ferraille. Pierre se sentait mal à l’aise dans cette forêt gelée. Il ne