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pointement. Au lieu de la conduire dans un manoir de pierre enclavé dans des champs en culture, il la ramenait dans un taudis posé au milieu d’un repoussis. Elle avait pitié.

— Nous sommes heureux quand même, Pierre ; nous nous aimons. Les enfants peuvent t’aider, l’ouvrage s’exécutera plus vite. Moi, je peux attendre.

Doux par extraordinaire, coloré dans la forêt et dans le ciel, humide dans le sol et dans l’air, parcouru par des bouffées de vent léger, le soir d’automne les émouvait tous deux.

— Embrasse-moi, Pierre, avant de recommencer.

La tête et le buste renversés en arrière, déchirée par cet amour d’automne, par la vie, par le passé, par l’avenir, par tout, semblait-il, Ysabau se laissait embrasser longuement, les larmes coulant de ses yeux.

Ils n’avaient aucun moment à perdre pour remettre le défriché et le courtil en état d’être ensemencés au printemps. Dure tâche, car les racines profondes s’étaient réveillées ; les écrues jaillissaient des anciens guérets ; les souches s’étaient couronnées de cépées. Armés de fauchards et de hachettes, Pierre, François, Jacques, alignèrent les rêches andins. Plus tard, Koïncha et les enfants allumèrent le feu courant et les nappes de lourde fumée roulèrent dans la clairière. L’après-midi, Ysabau elle-même apparaissait parfois dans le champ, et la brousse reculait devant l’assaut de la troupe joyeuse qui s’appelait et criait dans l’air sonore. Mais dure comme de la pierre, gelée, la terre résista bientôt à la bêche. Puis la neige couvrit le pays.

Alors, un matin de mi-décembre, Pierre saisit sa hache afin de poursuivre son ancien métier de déboiseur. Le firmament se montrait tout gris, mais sans nuage distinct, comme à d’autres heures, il se montre tout bleu. Arrosée par une pluie