Page:Desrosiers - Les Opiniâtres, 1941.djvu/152

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— VII —

D’une main, Pierre maintenait le canot le long de l’appontement.

— Et maintenant, dit-il, nous partirons quand les trois Y seront prêtes.

François s’esclaffa.

— Les trois Y, les trois Y, cria-t-il à tue-tête.

Quelques minutes s’écoulèrent, et alors parurent les trois éditions du même livre : Ysabau, Yseult, Ysolde ; même beauté à des stages différents, même grâce, même architecture parfaite, bien que délicate. Déjà Yseult se posait en petite demoiselle sérieuse ; mais Ysolde obéissait à ses instincts juvéniles, gambadait et courait.

Elles s’installèrent dans les places libres que laissaient sacs et colis. La nouvelle embarcation comptait bien vingt pieds de longueur ; elle était remplie. Pierre, François, Jacques commencèrent à avironner ; la quille rouge se déplaça dans l’eau limpide. Bientôt, ils furent assez éloignés du poste pour être bien seuls entre eux. D’une voix grêle, mais ferme, nette, Yseult chantonna :

À Saint-Malo, beau port de mer…

L’un après l’autre, ils joignirent leurs voix à la sienne. Ils chantaient ; la joie fusait dans leurs figures, dans leurs gestes, dans leurs yeux, dans leurs paroles aussi bien que dans leur chant. Pierre pensait : « Comme on est heureux ainsi, avec tous les siens, entre soi, dans la liberté, dans le pays » ; et Ysabau pensait : « Comme elles sont belles, mes filles, comme ils sont forts mes garçons ». Et l’effervescence des enfants célébrait ce jour de réjouissance et de liberté.

La mi-octobre était arrivée. Les feuillages de la futaie jaune, cuivrée, écarlate, coloraient l’eau près du rivage : des feuilles roides et crispées