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quois, on le connaît : il passe ses journées à l’affût, derrière une souche, il profite de la moindre occasion, il frappe, puis il disparaît dans l’immense forêt.

— Pierre, je retourne à la maison.

Les enfants jouaient paisiblement.

— Que vais-je devenir ? pensa-t-elle encore. Je ne peux les avoir tous sous les yeux en même temps. Je ne pourrai résister, je ne pourrai vivre. C’est comme des mains qui soudain m’empoignent le cœur et serrent.

Elle regardait dans le feu, elle y voyait le supplice du père Bressani, les tortures du père Jogues et du bébé de Koïncha.

Pierre revint. Sur la table s’alignaient quatre mousquets chargés. L’Algonquine dormait sur le plancher comme un chien. Portes et contrevents barrés enclosaient un silence anxieux. Ysabau réfléchissait.

Puis elle se leva. Elle couvrit d’un napperon un bahut à forme d’armoire ; elle posta dans le milieu une statue de la Vierge, menue et blanche. Elle sortit un instant, revint avec des branchettes de sapin qu’elle déploya dans deux vases.

— Et maintenant, dit-elle, soir et matin, nous dirons des prières particulières, à genoux, ensemble.

Ysabau récita le chapelet. Nets et distincts, les répons montaient autour d’elle. Pour tous deux, bien qu’ils fussent pratiquants, n’était-ce pas une espèce de révolution ? « Mais oui, il le faut, pensa-t-elle, nous n’avons plus rien d’humain en quoi espérer. Nous étoufferions dans le désespoir. Laissés à nous-mêmes, nous sommes impuissants. Et qui subsisterait sans espérance ? »

Elle comprenait maintenant tous les mots des prières qu’elle prononçait autrefois sans y penser. Elle butait contre certaines phrases comme la suivante : « que votre volonté soit faite » ; celle-là, elle raclait sa gorge : « que votre volonté soit faite », mais non sa volonté à elle, Ysabau, ni