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elle n’avait plus rien vu. Mais elle avait fait le guet.

Pierre s’exclama :

— Le père Jogues.

Hertel comprit. Il dit à son tour :

— Les deux bandes de Simon Piescaret.

Tous demeurèrent silencieux, saisis d’appréhension : ceux-là avaient succombé sans doute puisque les Iroquois ouvraient les hostilités sur le fleuve.

Des voisins accoururent. Les délibérations se poursuivirent dans la maison. La paix rompue, se renfermerait-on dans le fort ? Mais tous étaient de pauvres gens : comment subsisteraient-ils, s’ils ne semaient point ? Séjourneraient-ils sur leurs défrichements jusqu’à la fin de juin ?

Pierre se taisait. Parfois, il levait les yeux sur Ysabau. Il ne rencontrait point le regard de celle-ci : singulièrement nerveuse, agitée, elle s’occupait du dîner, allant de l’armoire au foyer, du foyer à la table, transportant les plats. Puis elle assoyait l’un des enfants sur ses genoux, enveloppait de ses mains l’une des menottes douces comme du duvet d’oiseau. Elle se levait ; elle observait par la fenêtre. Tous la suivaient des yeux, elle si fine, si belle. Ysabau savait que Pierre ne s’engagerait pas malgré elle ; que si elle disait : « non », tous devraient retourner aux Trois-Rivières ; que la conversation languissait parce que l’on avait tout dit et que l’on attendait son mot. Elle reculait devant la décision. Pourrait-elle jamais franchir cet obstacle qui se dressait devant elle ? La pensée des enfants lui torturait l’âme. Malaisément, elle tentait de grouper ses forces. Enfin, le dos tourné à l’assistance, plongeant dans la marmite une spatule de fer sans savoir ce qu’elle faisait, elle dit :

— Nous pouvons rester, nous aussi, n’est-ce pas Pierre ?