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Pierre disait : « Nous bâtissons à l’automne. » Ysabau s’accoudait sur le manche de son bêcheton, regardait onduler la masse des blés drus dont la cime s’alourdissait sous l’épiage ; puis elle répondait : « Je ne sais pas, Pierre, je ne sais pas ». Les sourcils froncés, elle ajoutait : « Je m’informerais auparavant, Pierre ». Car maintenant, elle se montrait dubitative. Koïncha lui communiquait de mauvaises nouvelles depuis plusieurs semaines. Réticents, les interprètes prodiguaient des conseils de prudence. Mais Pierre percevait mal et ne retenait pas les paroles qui contrariaient ses projets. Depuis l’été précédent, il était retombé dans l’une de ses transes de travail. Le défriché, le verger, l’emplacement de la maison, il courait de l’un à l’autre endroit, projetant, exécutant, aveugle et sourd pour le reste. Alors il regarda Ysabau, mais sa figure restait figée sur ses pensées secrètes.

— Pierre, réveille-toi, dit Ysabau en riant. Me vois-tu ? je suis devant toi… Bien Écoute. J’irais au fort, je prendrais des informations.

— Tu ne me pardonnes pas de ne pas te lorgner constamment.

— Tu te trompes, Pierre. Il me semble parfois que l’on m’a donné un invalide à conduire par la main. Si je t’abandonne une minute, tu heurteras un arbre, la maison, que sais-je, moi ? À moins de soufflets, comment t’expulser de ton rêve ? Observe autour de toi au lieu d’examiner tes pensées, tout le temps.

Pierre se rendit au fort. Il entra dans la maison des Jésuites où des notables s’étaient assemblés. Ce rez-de-chaussée admettait peu de lumière. Le plafond bas portait sur des solives maladroitement équarries qui gardaient les marques de chaque coup de hache. Dans la fumée bourdonnait