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si elle se prolongeait pendant trois, quatre ans ? Durant un délai pareil, un homme valide érige des ouvrages qui ne se détruisent pas en un jour ; des enfants naissent, des colons défrichent, des soldats passent la mer.

Pierre arriva près de la cabane. Au printemps, le défriché ne montrait aucune beauté ; cordes de billettes, mulons de branches, mares enchâssées dans la boue, souches pourries, composaient une grisaille désolée. Tout autour, pointait la brousse roussâtre. Et, en plein milieu, le toit ressemblait à une grossière chevelure ébouriffée.

Pierre ouvrit la porte et se dirigea vers la cheminée.

— On ne peut plus passer, Ysabau.

Il criait les mots comme s’il annonçait une victoire.

— On ne peut plus passer, Pierre.

— Avec trois enfants, ce n’est pas grand notre loge.

— C’est petit, Pierre.

Active et fraîche, Ysabau débarbouillait garçons et fille. Entre elle et Koïncha, ils en menaient une existence de sauvageons, les petits ; dehors par beau et par mauvais temps, sous la pluie et le soleil, dans la neige et le vent. Au printemps, ils rentraient boueux, crottés comme des chiens. En vraie sauvagesse, Koïncha ne s’opposait à aucun de leurs caprices. Ils barbotaient alors dans les mares, pataugeaient dans la vase, jouaient avec de minuscules canots d’écorce, des arcs, des tubes à lancer des flèches. Comment maîtriser ensuite ces petits chats sauvages qui griffaient et mordaient ?

Ysabau riait parmi eux. Non, elle n’aurait pas accordé de préférences aux poupées bien propres, bien sages, qui n’ont ni sommeil, ni faim, qui ne gambadent ni ne hurlent. Sa propre vitalité se délectait à cette turbulence.