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les opiniâtres

Personne n’entendait Le Fûté, personne ne le voyait : discret et secret comme s’il n’existait pas. Mais un jour, on lui rendait visite et l’on constatait que son défrichement s’était gonflé comme une baudruche remplie de grand ciel pur.

— Hein ! mon Fûté, on n’a pas perdu son temps ? Mais pendant quelques années encore, nous n’aurons pas trop de voisins. Bien le bonjour, Le Fûté.

Oui, David Hache ; Pierre estimait les hommes de cette trempe : une droiture, une volonté, un dessein ; au fond, malgré la différence des conditions, un bâtisseur comme lui.

Plus loin, immobile sur un pied comme une grande brimbale, ne voyait-on pas Eustache Sarrazin ?

— Alors, mon Eustache, cela ne se voit pas en tout pays deux milles de large de glace en mouvement ? On dirait une bande de notre vieux sol couvert de neige, qui démarre soudain. Voilà le printemps, Eustache, et nous avons la paix.

Sarrazin répondait à la cordialité par des grognements indistincts. Pierre observait tout autour de lui et il voyait des peaux clouées sur le mur, un canot sur chantier parmi les copeaux.

— Pierre, ne viendras-tu pas aux îles dès le petit printemps, quand la glace aura fini de passer ? Tu apprendras ce que c’est : un ciel noir de canards.

— Mais la terre, Eustache, se défrichera-t-elle toute seule ? Le mousquet ne coupe pas d’arbres, bien sûr. Profitons de la paix.

— La paix ? Une paix fourrée tout au plus. Les Iroquois ont voulu délivrer leurs prisonniers. Et après ? Ils achètent des arquebuses, ils établissent des plans nouveaux.

— Mais ce qui sera fait, sera fait ; autant de pris, autant de gagné ; après, on verra.

Pierre revint entre les arbres sans feuilles qui frissonnaient jusqu’en leur aubier de la tiédeur de cette brise. Paix fourrée ? Peut-être. Mais