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À plusieurs reprises, Pierre avait fui son défrichement ; il avait passé des semaines et des mois au fort. Ce soir, il pourrait retourner car on venait de signaler le départ de dix bandes iroquoises qui avaient bloqué tout l’été le fleuve et l’Outaouais.

Quand Pierre séjournait aux Trois-Rivières, pendant une longue période, il subissait moins impérieusement l’attraction de son entreprise. Il examinait son problème d’un esprit plus lucide. Les obstacles alors se dessinaient en pleine lumière ; aucune solution n’apparaissait. La situation avait empiré. Parmi les coloniaux les plus optimistes, personne n’escomptait une amélioration soudaine. Le sort de Pierre dépendait étroitement de la police du fleuve et de la forêt, qui ne s’entreprenait pas ; en fin de compte, l’exécution de son dessein relevait de la France ; et il ne pouvait influer sur ce facteur massif, hors de son atteinte.

Pierre confiait ses doléances au missionnaire. Pour lui, établi sur les lieux, l’inaction de la France présentait une énigme. Elle pouvait dépendre des autorités coloniales qui ne représentaient pas avec assez de force la bonté de cette terre, l’immensité de ce continent, l’abondance et la variété de ses produits ; elle pouvait aussi dépendre du gouvernement français qui ne lisait pas les mémoires avec assez d’attention ou d’imagination. Mais que comprenant à Paris et à Québec la grande chance qui s’offrait, on n’envoyât pas les forces infimes, — deux régiments au plus, — qui auraient assuré la possession paisible de la Nouvelle-France, cela lui paraissait impossible. En face de la magnitude des résultats à obtenir, aucune excuse ne valait.

Le père Bressani constata vite que le jeune ménage réclamait des exhortations au courage. Sans doute, leur résolution était profondément enracinée. Mais aucune aube ne pointait. La nuit aux cauchemars sanglants régnait dans sa plénitude. Alors, les mains enfouies dans ses larges