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Lorsque Pierre retourna du champ, monsieur Le Neuf du Hérisson venait d’arriver en canot avec Anne. Ysabau avait mis des chaises sous les gros saules, sur la berge, et la fraîcheur du fleuve s’exhalait dans l’après-midi chaud.

Monsieur du Hérisson relatait les dernières nouvelles. Avec les deux milliers d’écus que le Cardinal avait alloués, les autorités coloniales construisaient un fortin à l’embouchure de la rivière des Iroquois ; une société particulière érigeait aussi des édifices et des palissades, à trente lieues en amont, dans la grande île du Mont-Royal.

— Bien, dit Pierre, ces deux forts intercepteront les partis de guerre ennemis. La frontière est reportée à une cinquantaine de milles des Trois-Rivières. À l’arrière, nous vivrons mieux protégés.

Monsieur du Hérisson ne partageait pas cet avis. Il manifestait son mécontentement par une humeur querelleuse ; ses longues moustaches et ses cheveux perdaient leur savant alignement ; ses bajoues tremblotaient ; un peu d’écume moussait aux commissures des lèvres.

— Deux fortins, répliquait-il, qu’est-ce que cela signifie ? En dedans de cent toises carrées, une trentaine de soldats vivront en sécurité relative à condition de ne point sortir. Hors de cette clôture, qui demeurera le maître ? Nous, des Trois-Rivières, ne le savons-nous pas ? Fermer le passage par un fort à l’embouchure de la rivière des Iroquois, c’est obstruer le fleuve en lançant un caillou au milieu : l’ennemi se glissera à dix pas dans la forêt et qui le découvrira ? Et ces gaillards acquièrent de l’assurance avec leurs arquebuses ; un peu plus d’habileté et ils massacraient tout : soldats, ouvriers, Gouverneur même, réunis pour