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— Non, ce n’est pas un homme ordinaire, Nicolas Montour ; en voilà un qui sait conduire ses affaires et les affaires de la Compagnie, dit Lelâcheur avec à-propos, quand le bourgeoys l’écoute.

Et il donne des exemples.

Ainsi attaque et défend ses positions menacées, Nicolas Montour, le brigadier.

Au fond, pour Montour et ses amis, le bourgeoys, c’est l’ennemi ; c’est l’homme contre qui on se ligue pour l’influencer, en obtenir des avantages.

Ces intrigues aboutiraient moins souvent, si le Bancroche pouvait communiquer plus facilement avec ses hommes. Mais il ne sait le français que bien imparfaitement, et alors il est prisonnier, quant à son opinion sur les engagés, de quelques voyageurs qui savent bien sa langue et l’approchent plus facilement. Ceux que Montour conduit ne laissent pénétrer de l’extérieur que ce qu’ils veulent : ils commandent aux portes. Rien n’est plus facile alors que de déformer la réalité, d’édifier contre Turenne un château de cartes de calomnies, un fragile château de mensonges qui ne vacillera pas.

Sous cette attaque à fond, Turenne est resté calme dans la sérénité de sa force. Dédaigne-t-il les attaques ? Est-il insensible ? Croit-il que son honnêteté et son habileté naturelles transparaîtront au travers de tous les artifices ? Est-il dépourvu d’ambition ? Ce que son rival veut l’empêcher d’obtenir, y tient-il ? Montour ne comprend pas bien encore.

Louison Turenne continue à vivre comme par le passé ; il reste bon pour les Indiens, obligeant pour ses compagnons.

Et chaque fois que les circonstances le permettent, il s’éloigne de la brigade, descend sur le rivage des lacs et des rivières : il jette la ligne, il attend.

Alors, tout est joie pour lui. Élevé sur les rives du fleuve, il aime ce monde mal connu et pourtant si vivant : une rivière, ses remous, ses tourbillons, ses bulles, les grandes surfaces lisses d’où, soudain, saute un poisson. Le long de son cours, il retrouve toujours un paysage familier : sable, argile, pierres,

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