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bourgeoys, le trafic des fourrures, il voudrait le conduire, lui, sans eau-de-vie et sans femmes…

— Vraiment ?

— Pour lui, donner de l’eau-de-vie aux Indiens, c’est un crime… Nous les démoralisons, paraît-il… Enfin une conscience de jeune fille.

Quelques préjugés violents se tordent dans l’âme du Bancroche. Sous son épiderme, ils forment des points sensibles auxquels on ne peut toucher sans lui arracher des hurlements. Ainsi, il déteste les prêtres catholiques. Cette fois, c’est Philippe Lelâcheur qui lui confie d’un ton doucereux :

— Turenne, mais il n’aurait rien de plus pressé que de remplir les pays d’En-Haut avec des missionnaires. Il voudrait toujours marcher la main dans la main de son curé.

I will be damned

La réaction est violente et instantanée.

Mais la plus habile tactique n’est-elle pas d’inspirer à un homme les moyens de se perdre lui-même ? Montour l’a déjà appliquée avec succès contre François Lendormy. Il tente de l’appliquer encore contre Turenne.

S’il sait, par exemple, que le Bancroche est très occupé, débordé par les plaintes, excédé par les difficultés, il arrive pudiquement près de Louison Turenne, les yeux baissés, et il lui dit :

— Mais va, va ; demande au bourgeoys la permission d’aller à la pêche ; la truite est belle ici.

Il surveille Turenne de côté. Presque toujours déçu dans ses espérances, il recommence sans cesse, confiant qu’un jour ou l’autre ses propositions seront agréées et que le gouvernail courra lui-même à sa propre perte.

Très libéralement, Nicolas Montour use du mensonge et de l’exagération. Mais si par hasard la vérité peut concourir à ses fins, il l’emploie de préférence. Quel instrument d’un effet plus sûr ?

Ainsi, entre le bourgeoys et le gouvernail, il y a des oppositions d’idées et de caractères. Et qui les a mieux devinées

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