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Tom MacDonald est mis au courant de chaque machination par Montour, Philippe Lelâcheur, Facteau. Mais la discrétion se mêle toujours à la prudence. Indisposer le bourgeoys contre Turenne, voilà le but. Mais pas trop. Il faut glisser sur les accusations. Insister, ce serait donner trop d’importance à l’affaire, déclencher peut-être une enquête qui disculperait la victime. Alors ils se tiennent prêts à reculer et à adoucir les accusations par une plaisanterie : erreurs, fautes se commettent partout, n’est-ce pas ? Et jamais ils ne mordent à belles dents. Louison Turenne devine l’adversaire qui le poursuit dans l’ombre. Nicolas Montour n’est plus au temps où, solitaire, il menait sa campagne vicieuse contre François Lendormy. En apparence, il n’agit presque pas. Pour établir des corroborations, révéler des faits au bourgeoys, poser des pièges, il a maintenant des complices.

Et il les a trouvés à bon compte. Tout d’abord, il a lancé des accusations générales ; il a semé des légendes sur le compte de son adversaire ; il a choisi les calomnies auxquelles on ajouterait foi, très facilement, et que certaines apparences justifiaient de prime abord.

Turenne mène une existence un peu austère. « Turenne veut passer pour un juste ou un saint, dit-on ; Turenne déteste les engagés qui se saoulent ; Turenne ne veut pas que nous nous amusions. » Il soigne son travail. « Turenne est méticuleux, dit-on, il ne s’occupe que de détails, de vétilles, il est lent. » Quoi qu’il soit, quoi qu’il fasse, toujours le coup de pouce habile transforme le profil en une grossière caricature.

Et si le gouvernail s’entretient un moment avec le Bancroche, Nicolas Montour dit aux engagés :

— Tiens ! Turenne qui révèle encore nos petits secrets au bourgeoys. Surveillons-le, mes petits cousins.

Afin de rendre l’accusation plus plausible, Lelâcheur dénonce lui-même l’inconduite de quelques engagés, et les victimes punies reprochent à Turenne ses indiscrétions.

De cette façon, il noue facilement la coalition de tous les hommes qui, dans la brigade, n’ont pas de sympathie pour

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