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Dans la nuit qui tombe, le spectacle que Nicolas Montour regarde de ses yeux ardents s’efface ; maintenant, les feux s’allongent, cônes rouges surmontés d’un panache noir, dans la nuit ; léger, un vent d’été bruit dans les lourds feuillages autour de lui.

Alors il glisse de nouveau son être secret dans la coquille de son corps qu’il commande bien ; il le verrouille solidement, car s’il l’exposait le moins du monde, s’il fournissait un fil conducteur à ses compagnons, il entraverait son action future, attacherait à ses paroles et à ses actes une signification précise, fournirait le moyen de les interpréter, et de le prévenir, lui, dans l’accomplissement de ses desseins.

Malgré les audaces et les risques, la brigade dégrade à maintes reprises. À Pointe Maligne, elle perd trois jours et trois nuits. Les voyageurs cherchent les îles couvertes de nids pour en voler les œufs ; ils mettent à la broche des chiens dérobés aux tribus indiennes : à leur avis, aucune chair ne possède saveur pareille.

Mais le Bancroche, lui, sèche d’impatience. Pour tromper son ennui, il chasse cygnes, pélicans, outardes, canards et grues qui pullulent dans les alentours. Le soir, il se couche tard, place des sentinelles pour guetter une embellie, prêt à tenter, même dans les ténèbres, d’entrer dans la Saskatchewan.

Nicolas Montour le trouve assis devant un gros feu de branches sèches, en arrière d’une épaisse haie d’aulnes et de saules qui protège la flamme contre le grand vent. Parfois, une rafale s’insinue à travers cette barrière ; dans l’éloignement retentit le choc sourd du déferlage des lames. Déjà la nature dégage une intense mélancolie automnale.

— Quand pourrons-nous partir ? demande Montour.

— Au matin, peut-être ; le vent va mollir cette nuit.

Le Bancroche précède Montour sous sa tente. Il lui verse un peu d’eau-de-vie.

Puis il saisit sa cornemuse. Il joue. C’est sa manière de passer les heures trop longues. Dans cette solitude, les notes

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