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Montour, lui, se garde de fatiguer le bourgeoys par ses doléances. Son équipage, grâce à Turenne surtout, tient le coup, et s’il se rend auprès du Bancroche, c’est à loisir, la pipe allumée, en oisif, pour causer un peu et maintenir le contact.

Il voudrait bien savoir si ses protecteurs l’ont recommandé, et il hasarde des questions obliques.

— Vous connaissez Cournoyer ? De Lachine au Grand Portage, nous l’avons eu comme guide.

— Cournoyer ?… Cournoyer ?… Oui, il me semble, je connais un guide qui porte ce nom-là. Mais où l’ai-je rencontré ?

— Simon McTavish nous a dépassés au second portage à la Vase.

— Oui ?

— Tout allait mal ; des engagés voulaient retourner à Montréal.

— Réellement ? Il aurait mieux valu ne pas partir, alors.

Le Bancroche se dérobe aux interrogatoires insidieux et Montour se désole. Se peut-il que Cournoyer n’ait point tenu ses promesses ? Comme le premier venu, Nicolas Montour devra-t-il, seul, se frayer une route jusqu’à l’estime du chef ? Encore du temps perdu, voilà tout.

Montour n’est plus que le spectre de lui-même. Sa mauvaise graisse s’élimine en sueurs par les pores de sa peau. Mais chaque soir, il revient à la charge. Il met de la circonspection dans ses approches ; une abnégation complète l’habite tant il est disposé à tout abandonner de lui-même, sentiments, idées, préférences, préjugés pour plaire au bourgeoys. Il se change en une espèce de saint pour le renoncement à soi-même : ne se trouve-t-il pas en face de l’homme de qui dépend son avenir ?

Après avoir exécuté ses simagrées, il attend. Et, enfin, il obtient sa récompense. Un soir, le Bancroche se promène sur la grève pendant que les hommes se reposent auprès des feux. Et il aborde lui-même Montour.

— Alors, toi, tu ne te plains de rien ? Tu ne manques ni

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