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— J’ai parlé de vous à quelques associés. Je verrai aussi Tom MacDonald, votre nouveau chef… Montour… Nous avons besoin d’hommes… d’hommes disposés, comme vous, à prendre les intérêts de la Compagnie… Les XY tenteront d’envahir Rabaska cette année. Ils y envoient Rocheblave, un de leurs plus habiles associés. La lutte sera dure. Le Bancroche, — on a donné ce surnom à votre bourgeoys, — aura besoin d’auxiliaires dévoués… Les plans s’improvisent sur les lieux. J’imagine que vous aurez bientôt un rôle à remplir… si vous le voulez.

— Je suis prêt.

— Oui. Mais vous devez comprendre une chose : les Bourgeoys n’ont pas les moyens d’apprécier les dispositions ; ils ne peuvent qu’apprécier les retours : et les retours, ce sont les pelleteries. Des excuses, tout le monde peut en trouver, et d’excellentes, dans un tel pays et dans de telles conditions. Des fourrures à n’importe quel prix… Vous comprenez, il n’y a que cela qui compte. Les moyens ? Le champ est vaste…

— À nos risques et périls ?

— Mais non, non. Les pays d’En-Haut, Rabaska, c’est loin. Quinze cents lieues de Montréal, disons-nous. Pas de gendarmes là-bas. Comment savoir avec exactitude ce qui s’y passe. Des témoins, on peut en trouver… Puis les agents de Montréal protègent les Bourgeoys hivernants, n’est-ce pas ? Ils n’abandonnent pas facilement les associés ou les voyageurs qui ont pris des risques pour la Compagnie. Ah, non. Ils ont le bras long.

Et Cournoyer continue à voix basse. Parfois, il se tait, parfois, il laisse ses regards errer sur le lac et il lance une bouffée de fumée.

— Vous comprenez, Montour ?

Montour comprend. Il en connaît assez pour savoir que tous ces mots, c’est au pied de la lettre qu’il faut les prendre ; ils représentent l’idée avec précision. En plus, il devine les sous-entendus, les silences et les réticences. Il s’imagine que ce n’est pas de but en blanc que Cournoyer lui tient ce langage.

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