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La tempête se calme. Rapidement, la brigade franchit la baie du Tonnerre, passe entre la grande île Royale et la terre ferme. Puis entre la pointe au Chapeau et la pointe aux Framboises, elle pénètre dans la baie du Grand Portage. Avant d’aller plus loin, elle met à terre un instant. Les voyageurs sortent de leur sac-à-tout-mettre les habits de fête, plumes colorées et ceintures fléchées. Ils s’accoutrent pour les occasions solennelles. Puis les canots se forment en ligne de bataille, une chanson puissante est entonnée.

Là-bas, des Indiens et des blancs se jettent dans les embarcations. Ils vont à la rencontre de la brigade spéciale de Rabaska et l’escortent triomphalement jusqu’au rivage. Des fusillades éclatent.

Entre une double haie de spectateurs, les mangeurs de porc, le collier sur la tête, les uns derrière les autres, transportent la cargaison dans le fort.

— Un baril d’eau-de-vie… cinq barils… vingt barils… comptent à mesure les assistants. Nous ne manquerons pas de bon petit lait dans les pays d’En-Haut, cet hiver…

Et ils rient.

Cinq heures et demie. Le dôme du ciel bleu comprime une éclatante clarté. Louison Turenne sort en rampant de l’abri formé par le canot sens dessus dessous ; il avance sur la grève formée de sable et de galets. Sans hésiter, il plonge dans le lac froid. À perte de vue, à l’abri des montagnes, l’eau s’étend, recouverte d’une ternissure semblable à une pellicule de mercure à peine ondulée. Il nage et les brisures des petits flots luisent comme de l’argent fin frappé par la lumière. Des centaines de mouettes s’élèvent, d’une blancheur plumeuse, et planent.

Au retour, Turenne se dresse, puissant dans la lumière ; et le soleil, soudain, lui mord la peau, car il n’y a pas de vent. Toute verdure pend déjà accablée.

Des mangeurs de porc se rassemblent autour de lui. Ensemble, ils examinent ces centaines de canots alignés sur le rivage,

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