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falaises avancées dorment parmi les vagues ; des collines et des caps se profilent sous le soleil dans une immobilité sereine. Et, augmentant l’impression d’isolement, les grands vents répandent leur mélancolie sur ces masses dédaigneuses qu’enferme une éternité de solitude.

Pendant quatre cent quarante-cinq milles, la brigade doit suivre la rive nord avant d’atteindre Grand Portage. Comme des oiseaux craintifs, les canots rasent les rivages déserts ; à la moindre alerte, ils fuient vers la terre. Avant les départs, les guides se consultent ; ils ont toujours les yeux braqués au ciel pour surveiller les nuages, la lune, les couchers de soleil ; il faut prévoir les grains car les atterrissages sont souvent impossibles, les grèves manquent, et malheur aux flottilles qui ne trouvent pas un abri avant que le vent s’élève.

Des pluies, des brouillards formés au large multiplient aussi les journées de dégras. La brigade passe de longues heures paresseuses au fond d’anses protégées par des collines. Mais la moindre embellie, de jour ou de nuit, et elle reprend son louvoyage ; elle met à profit le calme des aubes, des crépuscules, des jours nuageux et immobiles où l’eau dort, luisante comme de l’argent. Toujours sur le qui-vive, elle ceinture les caps Maurepas et Gargantua ; elle arrive à la baie Nipigon dont la large bouche se remplit d’îles ; elle passe au Pays Plat.

Les mariniers croient qu’ils se promènent dans les rues d’une ville inondée, entre de vieux châteaux en ruine qui exposent des piliers à moitié détruits, des fenêtres borgnes et des colonnes basaltiques ; un peu de verdure rampe sur les murailles comme du lierre, et à travers la clarté de l’eau, le lit rouge ou noir du lac étend ses marbrures.

Les voici aux Mamelles. En face d’eux, de l’autre côté de la baie, s’allonge la montagne du Tonnerre, haute et longue muraille bleuâtre. D’une pointe à l’autre, la traversée n’est pas longue : neuf milles, à peine deux heures de navigation. Cournoyer donne l’ordre de continuer malgré une mer hachée.

Dès les premiers coups de rames, les voyageurs inexpérimentés se troublent. Les lames fortes frappent les canots en

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