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avec la vapeur. Nicolas Montour revient avec des chemises qu’il commence à laver dans le lac.

Et, tout à coup, Cournoyer se tient devant le feu. Il saisit la poêle, il la jette par terre avec tout son contenu. Un qui vole, on dirait qu’il touche avec la pointe d’un couteau, un point névralgique ou un nœud de muscles, chez Cournoyer ; la réaction, toujours la même, est aussi instantanée que violente. Montour le savait. D’ailleurs, si le moindre larcin n’était pas puni avec une excessive sévérité, l’équipage dévorerait en quelques jours la cargaison de comestibles.

Le guide couvre son subordonné d’injures.

— Lendormy, je ne sais ce qui me retient de vous mettre aux fers.

Bombardier est accouru au bruit de l’altercation.

— Demain, Nicolas Montour prendra sa place au gouvernail.

— Mais… je ne sais pas…, dit Bombardier avec hésitation.

— Lendormy a besoin d’une leçon.

Le contremaître ne se sent ni l’inclination, ni les moyens de protéger son ami d’autrefois ; mais c’est à Turenne qu’il aurait voulu confier le gouvernail.

— Montour pourra-t-il remplir cette tâche ? Il n’a pas d’expérience, il n’est pas habile de ses mains et nous entrerons bientôt dans le lac Supérieur. En cas de danger…

— Montour apprendra. Lendormy a commis assez de frasques.

Le guide se montre impérieux ; il ne consulte pas Bombardier, il lui impose sa décision. Celui-ci se tait.

D’ailleurs, Montour, habilement, a coupé tous les fils qui reliaient Lendormy à ses chefs, fils d’amitié et fils d’estime. Il l’a isolé pour le battre.

— Quelqu’un m’a dénoncé, confie Lendormy à Montour quelques heures plus tard. Je saurai son nom.

— Tu crois ? Mais André Bombardier voulait te démettre, tu le sais, je te l’ai dit ; et Cournoyer ne t’a jamais aimé… J’ai refusé ton poste tout d’abord, je t’ai défendu…

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