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— Un complot ? Qui en est le chef ?

— François Lendormy, un gouvernail.

— Un vieux voyageur. Quelqu’un vous a averti ?

— Oui, Nicolas Montour, l’un des milieux.

— Bien, je vois. Donnez le signal devant moi, Cournoyer.

Sous l’œil du maître de qui émane l’énergie de l’autorité, les hommes se mettent vivement au travail, et la brigade s’ébranle.

L’irritation met du sang à la figure du Premier.

— Cournoyer, ne l’oubliez pas : vous êtes le chef de cette brigade. Et je vous attends au Grand Portage dans la dernière semaine de juin.

— Nous serons au rendez-vous.

— Oui, vous serez au rendez-vous, Cournoyer. Autrement… Les mâchoires serrées, dur, le visage volontaire, le Premier commande.

— Vous ne pouvez remplacer Lendormy ?

— Je n’ai que des mangeurs de porc, sauf les bouts.

— Bien. Vous me présenterez Montour au Grand Portage. Et pour les engagés, il n’y a qu’une manière dont ils peuvent retourner à Montréal maintenant : c’est dans les fers ; vous le leur direz. Au revoir, Cournoyer. Et restez maître de votre brigade.

Simon McTavish s’approche de la rive. Un homme, un géant, le soulève sur ses épaules et le dépose dans le maître canot qui s’éloigne aussitôt et traverse le lac en ligne droite.

Les voyageurs courbent la tête ; leurs canots suivent bientôt celui du maître. Ils ont atteint le dernier portage à la Vase. Entre les branches d’où l’eau dégouline, ils enfoncent dans la boue visqueuse où se tendent les fils fins des racines ; à grands efforts, ils arrachent leurs jambes à cette fange qui gargouille.

Cournoyer et Montour marchent l’un à côté de l’autre sur la grève, dans les ténèbres. Pas un tressaillement dans la forêt de sapins sur les rivages tout noirs. Le ressac spasmodique brise à peine le silence d’une plainte régulière et fine.

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