Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/27

Cette page a été validée par deux contributeurs.

satisfaire, les actions à accomplir ? Et l’amitié lui permet d’y faire entendre sa voix ; et cette voix si puissante et d’un tel poids, est celle d’un ennemi.

Pouvoir mystérieux de ce sentiment… Montour le met à l’essai, et son étonnement dépasse toutes bornes. D’un mot, il inspire au gouvernail des actes qui le desserviront, des attitudes qui manquent d’habileté. Ses paroles, si fausses soient-elles, n’évoquent plus aucune incrédulité ; ses conseils sont suivis sans examen, ses idées accueillies sans critique.

Nicolas Montour se meut alors dans des directions bien définies.

Cournoyer, par exemple, n’a jamais aimé Lendormy. Entre les deux hommes, une antipathie naturelle existe. Le premier se distingue par le calcul, le sang-froid, la prudence ; l’autre, par la passion, le manque de diplomatie, la roideur. Et Montour voit vite le parti à tirer de cette opposition de caractère : introduire dans les relations de ces deux engagés la pince de fer des soupçons réciproques, de l’interprétation venimeuse des actes, et changer enfin l’antipathie en haine.

— Qui a choisi cet encampement ? Nous allons coucher dans la boue, proteste Lendormy.

— Je l’ignore. Tu devrais te plaindre. Regarde ces flaques d’eau dans la glaise.

Montour a vu Cournoyer examiner lui-même le terrain ; mais il n’en dit mot. Au contraire, il excite Lendormy qui invoque le témoignage de ses compagnons.

— Vraiment ? Peut-on coucher dans un tel endroit ? Voyez vous-mêmes.

L’affaire prend des proportions ; chacun donne son avis. Bientôt, les protestations du gouvernail viennent à l’oreille du guide, et voilà les deux hommes qui se battent froid.

Quelques jours plus tard, Cournoyer demande à des engagés de déplacer des pièces jetées trop près de l’eau.

— Avertis Lendormy de venir, lui aussi.

Montour rejoint Lendormy ; il se promène quelques instants avec lui devant le camp. Puis il revient et il dit à Cournoyer :

[ 23 ]