Page:Desrosiers - Les Engagés du Grand Portage, 1946.djvu/20

Cette page a été validée par deux contributeurs.

qui attire des faits ou des sentiments, nichés jusque là dans des réduits.

— Un automne, nous étions en retard ; nous revenions du Grand Portage ; Cournoyer, le guide, ne nous donnait aucun répit ; chaque jour, des départs à deux heures du matin, des arrêts à dix heures du soir et quatre ou cinq portages ; la fatigue accablait les milieux…

Une tension règne. Braqués au loin, les regards de Montour se retirent, comme une lance ; aucun mouvement ne brise l’immobilité.

— Alors, nous nous sommes entendus… Un jour, l’un des canots se déchirait… sur une pierre ; le lendemain, l’autre… Il fallait bien mettre à terre pour les réparations et la séchée des marchandises.

— Ce guide… Cournoyer.., était-ce bien le même homme que le chef de notre brigade ?

— Oui… Nous avions besoin de repos ; nous en avons pris.

— Mais certainement. Vous étiez plusieurs dans le complot ?

— Trois gouvernails, trois brigadiers.

Montour se tient un peu en arrière de son compagnon. Il pose encore quelques questions ; ses yeux luisent tellement dans sa physionomie morte qu’une personne étrangère semble regarder d’une guérite que formerait le corps. Pendant l’interrogatoire dru et serré, Lendormy ressent de l’inquiétude : un plan se cache-t-il sous les paroles ? Un soupçon léger effleure son esprit : est-ce agir sagement que de se confier à cet homme ? Mais aussitôt, Montour, comme s’il avait deviné cette crainte, dit :

— Les guides sont souvent inhumains. Je les connais : ils exigent des hommes des efforts qui dépassent les forces. Vous n’aviez pas le choix des moyens.

Et le soupçon qui s’efforçait à naître dans l’esprit de Lendormy reçoit le coup de grâce.

Dans l’obscurité, les deux hommes reviennent. On jurerait

[ 16 ]