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sa libération. Il sort de prison : il donne quelques ordres rapides à sa bande. Et bientôt il s’enfonce avec elle dans la forêt, en direction du Sud ; il se rend dans le district inexploité où Nicolas Montour voulait l’envoyer.

De quelle façon celui-ci a-t-il pu exécuter son dessein ? Les cyniques sourient ; les naïfs s’étonnent ; les doux s’illusionnent ; les intelligents comprennent. Montour a-t-il donné au Cerf à choisir entre l’exécution immédiate et la chasse dans le Sud ?

Durant la boisson si fatale au Cerf et à la Barbiche Blanche, dans la partie du chantier réservée aux voyageurs, Louison Turenne veille. Le tumulte du meurtre affole le personnel ; et, alors, dans l’excitation générale, le gouvernail trouve l’occasion qu’il cherchait en vain depuis si longtemps. Inaperçu, il se glisse hors du fort et donne à Lune le signal convenu ; elle le rejoint bientôt. Doucement, rapidement, il la conduit par un sentier qui se dirige vers l’Est. Un jeune Saulteur les attend à l’endroit fixé.

Louison Turenne saisit l’enfant ; il l’élève dans ses bras puissants, il l’attire à lui et il l’embrasse. Puis ils partent tous deux, le jeune homme et la jeune fille. Un bon vent hurle dans la nuit, la poudrerie court sur le sol, sous la lune. Longtemps Louison Turenne reste au même endroit. Maintenant, il est seul parmi les troncs gelés qui craquent sous l’effort des rafales et se balancent avec la roideur du fer.

Puis il revient. Autour du fort, autour des loges, il rôde, désœuvré. La boisson a repris son cours. Il panse une femme et deux hommes qui souffrent de morsures ou de brûlures. Dans la neige, entre des tentes, il ramasse une fillette ivre, endormie ; elle n’a pas huit ans. Il la prend dans ses bras, l’apporte dans une loge, la dépose sur la couche de branches de sapins, la couvre de vieilles peaux. Avec peine, il ranime le feu éteint. Elle s’agite là-bas, elle gémit un peu ; il réchauffe ses petites mains froides dans les siennes. Enfin, elle se calme et s’endort.

Lui reste là, près du feu, la tête courbée, toute la fin de